Titre : Solitude
Date de création : 5 avril 2009
Genre : Triste - Relation homosexuelle entre hommes
Date de création : 5 avril 2009
Genre : Triste - Relation homosexuelle entre hommes
La pluie tombe et m'arrose le visage. Le béton froid me donne des frissons. Je suis allongé là, sur le dos, laissant un filet de sang courir le long de mon menton. Quelques gouttes d'eau me tombent dans les yeux mais je tiens absolument à regarder ce ciel grisâtre qui démontre le chaos de mon propre esprit. J'ai mal au cou, là où une lame m'a tranché quelques minutes plus tôt. J'ai du mal à respirer. En même temps, je n'ai pas envie d'inspirer l'air pollué de cette ville merdique, ni cette odeur de sang qui coagule sur moi. Quelques points noirs envahissent ma vue, je sens ma tête qui tourne.
Vous vous demandez ce qui a bien pu se passer ? J'vais vous le raconter. Je dois me remémorer tout ça, pour ne pas oublier.
J'ai rencontré Denis dans un bar. La trentaine tapante, les cheveux colorés d'une teinture brune et une carrure d'athlète par excellence, il m'a tapé dans l'œil dès qu'il a franchi la porte. Quelques mèches tombaient devant son regard ténébreux, sa veste en cuir ruisselait de flotte. Nous n'avions pas cherché à nous parler. Les gestes suffisaient. Je me suis approché de lui, j'ai passé mes doigts sur sa nuque et nous nous sommes retrouvés dans les chiottes pour se taper une partie de jambes en l'air. C'était... exaltant.
On se voyait tous les jours. Je revenais tout le temps à la même heure dans ce bistrot merdeux pour être sûr de le croiser. La même rengaine à chaque fois : quelques gestes, quelques regards brillants et en avant pour la baise. Il était mon meilleur coup. J'ai appris son nom grâce à la carte de visite qu'il m'avait laissé un jour. Il bossait dans la publicité... Un mec riche et arrogant.
Le manège dura deux bons mois avant que je ne comprenne ses intentions. Par hasard, encore un jour de pluie, je l'ai croisé dans le Boulevard. Accompagné de types en noir, Denis semblait imposant et sûr. Derrière ses lunettes noires, il observait le coin comme un aigle aux aguets. Bizarrement, j'ai eu peur de lui. Bien sûr, il remarqua très vite ma présence –j'étais le seul petit con à côté d'un lampadaire taggé. Ses compagnons ont sorti des armes à feu et je me suis enfui comme un lièvre, entendant la course poursuite derrière moi et des balles siffler à mes oreilles.
En fait, je n'avais pas peur.
J'étais effrayé.
Après avoir couru pendant une quinzaine de minutes, je me suis arrêté au supermarché de la Grand'Rue. Dans un lieu public, je savais que personne n'oserait me planter. Au rayon surgelé, je me suis appuyé à une étagère congelée pour reprendre mon souffle. Je tremblais comme une feuille, je me sentais mal, je défaillais. Les gens me regardaient suspicieusement. Petit pisseux de quinze ans, pâle et en sueur, qui attirait l'attention des plus curieux. Une grosse dose de solitude me tomba alors sur les épaules ; je me rendais compte à quel point les êtres humains étaient égoïstes, jaugeant les plus faibles sans chercher à comprendre ce qu'ils avaient. Une main sur le front, j'ai fini par ressortir de cet endroit bondé de monde. L'heure de pointe.
C'est dans un tournant qu'on m'attrapa avec brutalité et qu'un couteau coupa ma peau au niveau de la gorge. Laissé là, au milieu de la chaussée déformée, allongé comme un macchabée, je me retrouve donc à fixer ce ciel pourri qui ne cessait de hanter mes souvenirs. Le sang mélangé à l'eau dégoulinait encore. J'étais sûr et certain d'y rester. Quelques cris me parvinrent –une bonne femme terrorisée qui s'est barrée en courant.
Connasse.
Appelles l'ambulance.
J'essaie de lever la main vers ce dos qui m'échappe, j'essaie de parler mais je sens un nouveau flot de liquide épais couler le long de mon cou nu. Plus aucune douleur, plus aucune sensation. Puis je ne sens plus les gouttes de pluie. Un visage est là, au-dessus de moi. Accroupi à côté de moi, Denis me fixe indifféremment derrière sa paire de lunettes de soleil.
J'ai peur.
Il m'embrasse alors sur les lèvres –un petit smack merdique et mouillé. Je le vois mettre des gants en plastique avant qu'il ne s'arrache un morceau de tee-shirt et le passe autour de mon cou. Silencieusement, il éponge mon sang. Devrais-je le remercier ? Je n'en ai pas le temps. Il se relève et disparaît... J'entends les sirènes des ambulances. Quelques personnes s'attroupent autour de moi, je ferme les yeux et me laisse aller sur le brancard.
Faible...
J'ouvre les yeux dans une chambre d'hôpital. Une infirmière blonde se ballade dans la pièce, essayant de ne pas faire de bruit mais me défonçant les oreilles avec ses rangements de flacons. Je tourne la tête mais ressens une vive douleur. Je tente de cacher un gémissement mais la blondasse s'approche de moi en souriant tragiquement.
_ Vous n'avez pas le droit de tourner la tête, monsieur.
Depuis quand on me donne des ordres ? Toute aussi conne que l'autre qui s'est barrée en courant.
Les jours passèrent, les semaines, et les médecins étaient formels eux aussi : je ne serai plus capable de tourner la tête sans ouvrir la cicatrice. J'ai fini par sortir et me voilà en train de marcher en direction de la boulangerie. Ma mère m'a collé un vieux type de cinquante-six ans comme garde du corps, pour éviter un nouveau drame. Comme si ce papi allait me défendre avec ses muscles flasques et ses mains ridées. Arrivé à destination, j'entre dans le petit magasin et m'approche des baguettes de pain. Le journal régional attire mon attention et je vois la photo de Denis en première page. Laissant tomber ma course, je prends le quotidien et lit l'article.
Vous vous demandez ce qui a bien pu se passer ? J'vais vous le raconter. Je dois me remémorer tout ça, pour ne pas oublier.
J'ai rencontré Denis dans un bar. La trentaine tapante, les cheveux colorés d'une teinture brune et une carrure d'athlète par excellence, il m'a tapé dans l'œil dès qu'il a franchi la porte. Quelques mèches tombaient devant son regard ténébreux, sa veste en cuir ruisselait de flotte. Nous n'avions pas cherché à nous parler. Les gestes suffisaient. Je me suis approché de lui, j'ai passé mes doigts sur sa nuque et nous nous sommes retrouvés dans les chiottes pour se taper une partie de jambes en l'air. C'était... exaltant.
On se voyait tous les jours. Je revenais tout le temps à la même heure dans ce bistrot merdeux pour être sûr de le croiser. La même rengaine à chaque fois : quelques gestes, quelques regards brillants et en avant pour la baise. Il était mon meilleur coup. J'ai appris son nom grâce à la carte de visite qu'il m'avait laissé un jour. Il bossait dans la publicité... Un mec riche et arrogant.
Le manège dura deux bons mois avant que je ne comprenne ses intentions. Par hasard, encore un jour de pluie, je l'ai croisé dans le Boulevard. Accompagné de types en noir, Denis semblait imposant et sûr. Derrière ses lunettes noires, il observait le coin comme un aigle aux aguets. Bizarrement, j'ai eu peur de lui. Bien sûr, il remarqua très vite ma présence –j'étais le seul petit con à côté d'un lampadaire taggé. Ses compagnons ont sorti des armes à feu et je me suis enfui comme un lièvre, entendant la course poursuite derrière moi et des balles siffler à mes oreilles.
En fait, je n'avais pas peur.
J'étais effrayé.
Après avoir couru pendant une quinzaine de minutes, je me suis arrêté au supermarché de la Grand'Rue. Dans un lieu public, je savais que personne n'oserait me planter. Au rayon surgelé, je me suis appuyé à une étagère congelée pour reprendre mon souffle. Je tremblais comme une feuille, je me sentais mal, je défaillais. Les gens me regardaient suspicieusement. Petit pisseux de quinze ans, pâle et en sueur, qui attirait l'attention des plus curieux. Une grosse dose de solitude me tomba alors sur les épaules ; je me rendais compte à quel point les êtres humains étaient égoïstes, jaugeant les plus faibles sans chercher à comprendre ce qu'ils avaient. Une main sur le front, j'ai fini par ressortir de cet endroit bondé de monde. L'heure de pointe.
C'est dans un tournant qu'on m'attrapa avec brutalité et qu'un couteau coupa ma peau au niveau de la gorge. Laissé là, au milieu de la chaussée déformée, allongé comme un macchabée, je me retrouve donc à fixer ce ciel pourri qui ne cessait de hanter mes souvenirs. Le sang mélangé à l'eau dégoulinait encore. J'étais sûr et certain d'y rester. Quelques cris me parvinrent –une bonne femme terrorisée qui s'est barrée en courant.
Connasse.
Appelles l'ambulance.
J'essaie de lever la main vers ce dos qui m'échappe, j'essaie de parler mais je sens un nouveau flot de liquide épais couler le long de mon cou nu. Plus aucune douleur, plus aucune sensation. Puis je ne sens plus les gouttes de pluie. Un visage est là, au-dessus de moi. Accroupi à côté de moi, Denis me fixe indifféremment derrière sa paire de lunettes de soleil.
J'ai peur.
Il m'embrasse alors sur les lèvres –un petit smack merdique et mouillé. Je le vois mettre des gants en plastique avant qu'il ne s'arrache un morceau de tee-shirt et le passe autour de mon cou. Silencieusement, il éponge mon sang. Devrais-je le remercier ? Je n'en ai pas le temps. Il se relève et disparaît... J'entends les sirènes des ambulances. Quelques personnes s'attroupent autour de moi, je ferme les yeux et me laisse aller sur le brancard.
Faible...
J'ouvre les yeux dans une chambre d'hôpital. Une infirmière blonde se ballade dans la pièce, essayant de ne pas faire de bruit mais me défonçant les oreilles avec ses rangements de flacons. Je tourne la tête mais ressens une vive douleur. Je tente de cacher un gémissement mais la blondasse s'approche de moi en souriant tragiquement.
_ Vous n'avez pas le droit de tourner la tête, monsieur.
Depuis quand on me donne des ordres ? Toute aussi conne que l'autre qui s'est barrée en courant.
Les jours passèrent, les semaines, et les médecins étaient formels eux aussi : je ne serai plus capable de tourner la tête sans ouvrir la cicatrice. J'ai fini par sortir et me voilà en train de marcher en direction de la boulangerie. Ma mère m'a collé un vieux type de cinquante-six ans comme garde du corps, pour éviter un nouveau drame. Comme si ce papi allait me défendre avec ses muscles flasques et ses mains ridées. Arrivé à destination, j'entre dans le petit magasin et m'approche des baguettes de pain. Le journal régional attire mon attention et je vois la photo de Denis en première page. Laissant tomber ma course, je prends le quotidien et lit l'article.
Fredericks Denis, retrouvé mort.
Depuis plusieurs années, la police suivait les traces de cet escroc allié à la Mafia. Chef d'un gang, Denis Fredericks était jugé dangereux par les autorités. Travaillant dans une agence de publicité depuis dix ans, il était loin d'attirer l'attention de ses employés. Deux vies, deux hommes. C'est dans un endroit reculé de la ville, si longuement inspecté par les autorités, que le corps de Denis Fredericks a été retrouvé le 18 juin, la tempe percée d'une balle. L'arme lui appartenait et tout porte à croire qu'il s'est bel et bien suicidé.
Depuis plusieurs années, la police suivait les traces de cet escroc allié à la Mafia. Chef d'un gang, Denis Fredericks était jugé dangereux par les autorités. Travaillant dans une agence de publicité depuis dix ans, il était loin d'attirer l'attention de ses employés. Deux vies, deux hommes. C'est dans un endroit reculé de la ville, si longuement inspecté par les autorités, que le corps de Denis Fredericks a été retrouvé le 18 juin, la tempe percée d'une balle. L'arme lui appartenait et tout porte à croire qu'il s'est bel et bien suicidé.
Une larme roule le long de ma joue. Je le remarque au bout de quelques secondes. Mon soi-disant garde du corps attrape mon bras et me conduit hors de la boulangerie après avoir vivement retiré le journal de mes mains. Je me rends compte à quel point j'ai été con. Denis avait cherché à me soigner, à m'aider en attendant les secours. Pendant deux mois il a dû être taraudé de questions à mon sujet et moi, comme un petit merdeux, j'avais peur de lui. Finalement, il s'est donné la mort dans une profonde solitude, dans un endroit reculé et sombre.
Seul.
Je me sens seul.
Et je sens aussi qu'il l'était.
Seul.
Je me sens seul.
Et je sens aussi qu'il l'était.