Titre : Mort Noyé
Date de création : 3 janvier 2009
Genre : Triste - Pathétiquement amer
Le froid m'a pris par surprise, ne m'étant pas échauffé comme à la piscine pour plonger. Mes jambes sont lourdes et engourdies, mes bras sont dans le même état et moi, je fixe droit devant moi en laissant le sel de la mer me piquer affreusement les yeux. Curieusement, je ne me sens pas triste, ni paniqué. Je me laisse couler, lentement mais sûrement, vers le fond. Quelque chose brille, loin devant moi, quelque chose qui s'approche rapidement. Sans chercher à bouger mes membres, je continue de couler. Qui s'inquiètera pour moi ? Certainement pas ces connards qui m'ont provoqué ! Qu'est-ce que je peux être con... Tout ça pour prouver à ce beau gosse superflu de Jimmy que je ne suis pas un trouillard.
Je ferme les yeux. L'envie de respirer me prend et c'est là que j'avale une bonne rasade d'eau salée. Je comprends alors l'étendu du danger et me met à bouger dans tous les sens, sans me rappeler comment on nage pour rejoindre la surface. Je m'enfonce de plus en plus dans les ténèbres. Le noir s'approche dangereusement de moi et mes oreilles se mettent à siffler et à me faire mal.
Je sens quelque chose de rêche me toucher le plat du pied. Essayant toujours vainement de remonter à la surface, j'ouvre les yeux et vois alors, juste en dessous de moi, une longue et grosse masse grise et tachetée de coquillages en guise de motifs. Une baleine ? Je n'arrive pas à réfléchir ; l'eau s'engouffre dans mes poumons et j'étouffe. J'ai mal à la gorge, mal à l'estomac et mes doigts sont totalement gelés. Je referme les yeux agressivement, ouvre la bouche pour hurler mais seules quelques bulles solitaires sortent, s'évaporant vers la surface déjà bien loin. Mes entrailles se révulsent, se contractent, me donnant une nausée indescriptible et brutale. Je vais mourir ici, dans cette eau profonde où j'ai voulu prouver mon courage à cet enfoiré de bad-boy...
La matière rêche se repose sur mes pieds et là, je sens qu'elle pousse vers le haut. Me retrouvant à genoux sur cette peau caillouteuse, je recherche encore en vain de l'air et, finalement, me retrouve aplatit contre l'animal qui me remonte à une vitesse impressionnante vers la surface.
Je crois avoir perdu connaissance pendant un long moment. Lorsque j'ai ouvert les yeux, j'ai aperçu le clan de timbrés en haut de la falaise. Ils regardaient vers moi, tétanisés. Pourquoi me regardaient-ils comme ça ? Je ne le savais pas. Je n'avais qu'une seule envie : sortir de l'eau. Je me redresse sur la bête qui m'a poussé jusqu'à la surface et l'observe.
_Qu... ?
Ce n'est pas une baleine ; un long cou, une gueule semblable à un cheval et un corps aussi souple que celui d'un fauve avec deux énormes nageoires de chaque côté. Au sommet du crâne trône fièrement une corne courbée vers l'arrière qui brille au soleil de l'après-midi. Qu'est donc cette chose ?! Apeuré, je tente de me mettre sur mes pieds mais retombe mollement sur la peau couverte de coquillages et glissante d'algues mouillées. J'ai le tournis et me met alors à vomir des rasades d'eau. Plus haut, les jeunes partent lentement, l'air abattu. Ils s'attendaient à ce que je meure ? Mauvaise nouvelle pour eux, je suis bel et bien vivant.
Au final, la créature marine se met à nager vers la plage, un peu plus loin, et, comme, une tortue, glisse sur le sable à l'aide de ses nageoires avant de s'arrêter et de tourner son long cou vers moi. Ses yeux ambrés me fixent, humides. Malgré la grosse corne aiguisée, cette grosse bête de semble pas méchante.
Je saute de son dos, rate ma chute et me ramasse mollement, tête plongée dans les grains de sable. J'en crache une bonne partie avant de me redresser doucement. Là-bas, un peu plus loin, le groupe de jeunes suit leur chef, Jimmy. Ils avancent lentement, comme s'ils craignaient quelque chose. Bizarrement, ils regardaient en direction de l'eau, et non pas dans ma direction. Ne me voyaient-ils pas ?
La créature émet un son guttural à côté de moi et je la regarde observer avec lassitude le groupe de garçons qui marchent aussi lentement que des morts vivants. Je me mets à pleurer, me sentant totalement inutile et faible. Les doigts crispés sur le sable, je n'ose fermer les poings et je laisse couler mes larmes en pleurnichant comme un gosse. Je me rappelle soudain la douleur fulgurante que j'avais ressentie en me noyant, les gestes désarticulés pour essayer de remonter à la surface.
En fait, je suis mort noyé.
Je suis le seul à voir cette créature et personne ne peut soupçonner un seul instant que je suis en train de pleurer comme un con sur la plage. Jimmy et les autres ne cessent de fixer la mer où, quelques instants plus tôt, j'aurai dû remonter avec fierté pour prouver que j'y étais arrivé.
Je sens une matière visqueuse sur ma joue et ai un mouvement de recul en voyant qu'il s'agit de la tête de cheval de l'animal. Sa corne luisante m'aveugle et j'en pleure encore plus, plus pour la douleur à la rétine que la douleur d'avoir tout perdu par provocation.
Je ne suis pas fier d'avoir accompli ce défi. Perdre la vie pour une chose aussi futile me rend amer et j'ai honte. Même si mes parents ont toujours fait en sorte de m'éviter depuis que je leur ai avoué mon homosexualité, je sais qu'ils vont pleurer. En y repensant, je regrette beaucoup de choses. Et surtout de ne pas leur avoir dit que je les aimais.
Nous vivons beaucoup de choses différentes et similaires à la fois. On passe son temps à réfléchir et à se donner mal au crâne pour de mauvaises raisons. Je me suis toujours demandé si Jimmy pourrait m'aimer un jour. Et alors que je prouvais avec acharnement que je pouvais être son égal, je n'ai pas survécu à l'appel de la Nature. Mon cœur m'a laissé tomber aussi vite qu'il m'avais fait aimé ce type.
Maman, je regrette d'avoir crier que tu n'aurai jamais de petits-enfants.
Papa, je regrette de t'avoir envoyé mon poing à la figure.
Jimmy... je regrette de ne t'avoir rien dit.
Depuis ce jour, j'erre sans but dans l'océan sur le dos de Lucky, cet animal qui est désormais mon seul et unique ami. J'aide les bateaux à rejoindre la côte, je sauve les gens de la noyade, mais personne ne me voit.
On raconte que l'esprit d'un garçon veille sur les baigneurs de l'île, un garçon mort noyé après avoir sauté de la Falaise Ardente – nom donné après ma mort. Certains pêcheurs content aussi qu'un chant mélancolique et grave s'élève de l'océan dès qu'un bateau fait naufrage non loin de là, un chant semblable à celui des baleines. Personne ne saura jamais que Lucky pleure aussi souvent que moi, perdus ensemble dans ce vaste océan de larmes de solitude.