Titre : Sida
Date de création : 24 août 2009
Genre : Triste - Sentiment de désespoir
Note personnelle : En fait, le titre devrait comporter la mention "en cours" hors, en le relisant, j'ai bien l'impression que je ne peux rien apporter de plus. Alors plutôt que de modifier les choses, je le laisse en version originale.

Me voici là, assis devant toi, à repenser à tous ces moments qui nous ont été volés. Mes genoux frôlent le marbre froid de ta tombe alors que je laisse le bout de mes doigts toucher la seule photographie de toi exposée entre les vases aux fleurs bientôt fanées. Mon visage ne trahit aucune émotion et pourtant, tout au fond de moi, quelque chose s'est brisée. J'ai du mal à avaler ma salive, j'ai mal aux yeux, mais je reste aussi sceptique qu'un mec qui apprend qu'il va mourir –comme toi, il n'y a pas si longtemps.
Il y a encore deux semaines, nous jouions comme des cons au terrain de jeux qui a bercé notre enfance. On a grandi ensemble, on a découvert l'amour ensemble. Nous nous comprenions plus que quiconque.
Je me souviens de ta première copine.
Je me souviens de ton premier vélo.
Je me souviens de tes mains lorsque je m'étais cassé la gueule du toboggan.
N'importe quel moment, je m'en souviens comme si c'était hier. Il a fallu que tu me laisses dans le monde des vivants pour que je vois défiler nos souvenirs communs aussi rapidement qu'un DVD en accéléré. Et alors que je fixe mon regard sur ton visage inerte et souriant, un sanglot s'échappe de ma bouche. Je n'ai pas voulu assister aux funérailles, par craintes d'avoir des représailles. Cependant, je le regrette amèrement. La dernière fois que je t'ai réellement regardé, tu étais sur ton lit d'hôpital...
C'est à cause de moi que tu es mort, et je m'en excuse encore. J'ai pleuré des nuits entières lorsque j'ai appris par inadvertance ce qui t'arrivait. Ma mère en parlait avec la tienne. Ca m'a rendu malade. J'ai vomi tout mon repas, refusé de manger durant des jours... et je suis allé te voir au dernier instant de ta vie.
Quel con j'ai été. Tout ça par rancune. Parce que tu aimais sincèrement ta nouvelle copine, j'ai ressenti une profonde jalousie et une détresse sans précédent, ce qui a provoqué ma perte de contrôle... Et je t'ai violé tout en sachant ce que j'avais.
On a vingt ans. Déjà cinq ans que t'es au courant de ce que mon père m'a fait subir et de ce qu'il m'a légué à l'intérieur –cette maladie irréversible qui me bouffe chaque jour un peu plus. Je te l'ai transmise à mon tour, sans l'avoir voulu, juste sous le coup d'une poussée de possessivité. Quel con... Tu as vécu deux années avec ce virus en toi et tu es mort avant moi... Tu ne m'en as jamais voulu de t'avoir fait subir ça et jamais tu ne m'as avoué que tu étais contaminé. Les jours et les mois passaient sans que tu ne m'en parles. On passait le plus clair de notre temps à faire les cons ; à aller boire un verre au bistrot du coin, à fumer des clopes totalement dégueulasses, à s'installer devant l'unique jeu de rallye avec volant et pédales. Nous avions terminés les cours et nous n'avions même pas envie de trouver un job.
Putain, Mike...
Il fallait que la grippe tombe sur toi pour que tes défenses immunitaires cessent d'opérer et que le Sida prenne de l'ampleur dans tes veines. Du jour au lendemain, hôpital - soins intensifs - morgue. Et moi je traîne ce virus depuis des années... En deux années à l'avoir en toi, t'as succombé plus rapidement que moi. Je suis affreusement dégoûté.
Là, devant ta tombe, je cherche à me faire pardonner sans même savoir ce que tu as pensé durant ces deux ans. La douleur au fond de moi est tellement forte que je ne ressens pratiquement rien ; juste un grand vide dans l'esprit. Le noir entoure mes plus heureux souvenirs et le passé m'échappe complètement. Notre vie a cessé de défiler devant mes yeux et je demeure inlassablement indifférent devant ton portrait. Bien des gens meurent tous les jours, dans notre stupide monde. Et il a fallu que la Faucheuse vienne te prendre à moi, égoïste que je suis.
J'entends un aboiement pas très loin. En dehors du cimetière, un gamin promène son Jack Russel. Irrémédiablement, ça me fait penser à toi. Tu te souviens, quand tu m'as montré Tommy pour la première fois ? Tes parents t'avaient offert ce magnifique Labrador noir à tes sept ans. Tu étais fou de joie. Tellement fou que tu es sorti en tee-shirt dans le froid de décembre pour venir me le montrer.
Mes yeux fixent ce gamin et son petit chien jusqu'à ce que ces derniers disparaissent au coin d'une rue. J'ai mal. Affreusement mal. Le fait de voir ce gosse me tourner le dos alors que ce n'est même pas toi me rend véritablement amer. C'est alors que je ressens toute la pression retomber d'un coup. Je me sens faible, mortifié. Et je me laisse enfin aller à des pleurs retenus durant tant d'heures. La fatigue me submerge, m'enveloppe, mais je pleure encore et encore. Je colle bientôt mon front au marbre froid et mes larmes s'écoulent entre les microfissures.