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~Antre de Riku-san~

Samedi 24 avril 2010 à 19:19

Titre : Solitude
Date de création : 5 avril 2009
Genre : Triste - Relation homosexuelle entre hommes

La pluie tombe et m'arrose le visage. Le béton froid me donne des frissons. Je suis allongé là, sur le dos, laissant un filet de sang courir le long de mon menton. Quelques gouttes d'eau me tombent dans les yeux mais je tiens absolument à regarder ce ciel grisâtre qui démontre le chaos de mon propre esprit. J'ai mal au cou, là où une lame m'a tranché quelques minutes plus tôt. J'ai du mal à respirer. En même temps, je n'ai pas envie d'inspirer l'air pollué de cette ville merdique, ni cette odeur de sang qui coagule sur moi. Quelques points noirs envahissent ma vue, je sens ma tête qui tourne.

Vous vous demandez ce qui a bien pu se passer ? J'vais vous le raconter. Je dois me remémorer tout ça, pour ne pas oublier.

J'ai rencontré Denis dans un bar. La trentaine tapante, les cheveux colorés d'une teinture brune et une carrure d'athlète par excellence, il m'a tapé dans l'œil dès qu'il a franchi la porte. Quelques mèches tombaient devant son regard ténébreux, sa veste en cuir ruisselait de flotte. Nous n'avions pas cherché à nous parler. Les gestes suffisaient. Je me suis approché de lui, j'ai passé mes doigts sur sa nuque et nous nous sommes retrouvés dans les chiottes pour se taper une partie de jambes en l'air. C'était... exaltant.
On se voyait tous les jours. Je revenais tout le temps à la même heure dans ce bistrot merdeux pour être sûr de le croiser. La même rengaine à chaque fois : quelques gestes, quelques regards brillants et en avant pour la baise. Il était mon meilleur coup. J'ai appris son nom grâce à la carte de visite qu'il m'avait laissé un jour. Il bossait dans la publicité... Un mec riche et arrogant.
Le manège dura deux bons mois avant que je ne comprenne ses intentions. Par hasard, encore un jour de pluie, je l'ai croisé dans le Boulevard. Accompagné de types en noir, Denis semblait imposant et sûr. Derrière ses lunettes noires, il observait le coin comme un aigle aux aguets. Bizarrement, j'ai eu peur de lui. Bien sûr, il remarqua très vite ma présence –j'étais le seul petit con à côté d'un lampadaire taggé. Ses compagnons ont sorti des armes à feu et je me suis enfui comme un lièvre, entendant la course poursuite derrière moi et des balles siffler à mes oreilles.
En fait, je n'avais pas peur.
J'étais effrayé.
Après avoir couru pendant une quinzaine de minutes, je me suis arrêté au supermarché de la Grand'Rue. Dans un lieu public, je savais que personne n'oserait me planter. Au rayon surgelé, je me suis appuyé à une étagère congelée pour reprendre mon souffle. Je tremblais comme une feuille, je me sentais mal, je défaillais. Les gens me regardaient suspicieusement. Petit pisseux de quinze ans, pâle et en sueur, qui attirait l'attention des plus curieux. Une grosse dose de solitude me tomba alors sur les épaules ; je me rendais compte à quel point les êtres humains étaient égoïstes, jaugeant les plus faibles sans chercher à comprendre ce qu'ils avaient. Une main sur le front, j'ai fini par ressortir de cet endroit bondé de monde. L'heure de pointe.
C'est dans un tournant qu'on m'attrapa avec brutalité et qu'un couteau coupa ma peau au niveau de la gorge. Laissé là, au milieu de la chaussée déformée, allongé comme un macchabée, je me retrouve donc à fixer ce ciel pourri qui ne cessait de hanter mes souvenirs. Le sang mélangé à l'eau dégoulinait encore. J'étais sûr et certain d'y rester. Quelques cris me parvinrent –une bonne femme terrorisée qui s'est barrée en courant.
Connasse.
Appelles l'ambulance.
J'essaie de lever la main vers ce dos qui m'échappe, j'essaie de parler mais je sens un nouveau flot de liquide épais couler le long de mon cou nu. Plus aucune douleur, plus aucune sensation. Puis je ne sens plus les gouttes de pluie. Un visage est là, au-dessus de moi. Accroupi à côté de moi, Denis me fixe indifféremment derrière sa paire de lunettes de soleil.
J'ai peur.
Il m'embrasse alors sur les lèvres –un petit smack merdique et mouillé. Je le vois mettre des gants en plastique avant qu'il ne s'arrache un morceau de tee-shirt et le passe autour de mon cou. Silencieusement, il éponge mon sang. Devrais-je le remercier ? Je n'en ai pas le temps. Il se relève et disparaît... J'entends les sirènes des ambulances. Quelques personnes s'attroupent autour de moi, je ferme les yeux et me laisse aller sur le brancard.
Faible...

J'ouvre les yeux dans une chambre d'hôpital. Une infirmière blonde se ballade dans la pièce, essayant de ne pas faire de bruit mais me défonçant les oreilles avec ses rangements de flacons. Je tourne la tête mais ressens une vive douleur. Je tente de cacher un gémissement mais la blondasse s'approche de moi en souriant tragiquement.

_ Vous n'avez pas le droit de tourner la tête, monsieur.

Depuis quand on me donne des ordres ? Toute aussi conne que l'autre qui s'est barrée en courant.
Les jours passèrent, les semaines, et les médecins étaient formels eux aussi : je ne serai plus capable de tourner la tête sans ouvrir la cicatrice. J'ai fini par sortir et me voilà en train de marcher en direction de la boulangerie. Ma mère m'a collé un vieux type de cinquante-six ans comme garde du corps, pour éviter un nouveau drame. Comme si ce papi allait me défendre avec ses muscles flasques et ses mains ridées. Arrivé à destination, j'entre dans le petit magasin et m'approche des baguettes de pain. Le journal régional attire mon attention et je vois la photo de Denis en première page. Laissant tomber ma course, je prends le quotidien et lit l'article.

Fredericks Denis, retrouvé mort.
Depuis plusieurs années, la police suivait les traces de cet escroc allié à la Mafia. Chef d'un gang, Denis Fredericks était jugé dangereux par les autorités. Travaillant dans une agence de publicité depuis dix ans, il était loin d'attirer l'attention de ses employés. Deux vies, deux hommes. C'est dans un endroit reculé de la ville, si longuement inspecté par les autorités, que le corps de Denis Fredericks a été retrouvé le 18 juin, la tempe percée d'une balle. L'arme lui appartenait et tout porte à croire qu'il s'est bel et bien suicidé.

Une larme roule le long de ma joue. Je le remarque au bout de quelques secondes. Mon soi-disant garde du corps attrape mon bras et me conduit hors de la boulangerie après avoir vivement retiré le journal de mes mains. Je me rends compte à quel point j'ai été con. Denis avait cherché à me soigner, à m'aider en attendant les secours. Pendant deux mois il a dû être taraudé de questions à mon sujet et moi, comme un petit merdeux, j'avais peur de lui. Finalement, il s'est donné la mort dans une profonde solitude, dans un endroit reculé et sombre.
Seul.
Je me sens seul.
Et je sens aussi qu'il l'était.

Samedi 24 avril 2010 à 19:22

Titre : Chante. Chante.
Date de création : 22 août 2009
Genre : Psycho'

« I got you~ Under my Skin »

Je chante. Je chante à m'en décrocher la mâchoire. Je chante ce tube d'un groupe coréen. Je tente d'oublier tout ce qui m'entoure, tout ce qui fait ma vie -tout ce qui a été, tout ce qui sera.
Ma poitrine se soulève sous une respiration irrégulière. Mes oreilles bourdonnent et je m'en fiche. La musique est forte, ma voix l'est tout autant. Les fenêtres sont ouvertes ; rien à foutre si quelqu'un m'entend. Je m'exprime avec la musique. Je rentre dans un univers totalement différent de celui qu'on connaît tous. Ici, il n'y a que le son, la mélodie ; une forêt de décibels impérissables. J'aime parcourir le fond de mon crâne pour en observer les moindres recoins. Beaucoup de souvenirs se regorgent dans un coin de ma tête mais je ne vois plus rien. Je chante dans le noir complet d'un monde qui m'appartient.
La musique s'arrête, les dernières paroles sont jetées. J'ouvre mes paupières et prends quelques millièmes de secondes à réaliser où mon corps se trouve. L'espace d'une chanson, j'avais oublié où j'étais.
Par la fenêtre ouverte, j'entends à nouveau toutes les voitures circuler sur la route principale. En bas, quelqu'un est en train de passer l'aspirateur. Je peux même entendre le voisin préparer son tracteur pour une nouvelle épopée vers ses vignes croissantes.
J'avale difficilement ma salive. Ca y est, mes glaires sont à nouveau revenues. Fait chier ! La réalité est toujours aussi médiocre, toujours aussi sale et pathétiquement hallucinante. Je décide alors de mettre une musique douce, une musique appartenant au film « man on fire » faite par Lisa Gerrard. J'aime cette chanteuse talentueuse... Elle allie si parfaitement les notes, de la plus grave à la plus aigus. Les gens la connaissent surtout pour la Bande Originale de « Gladiator ». J'ai jamais vu ce film en entier. Bref, j'appuie sur la touche « play » du lecteur VLC et écoute. Ca fait du bien. A nouveau, je me plonge dans mon propre esprit, respire l'infini noirceur de mon être, oublie le présent pour me concentrer sur cet univers que mon propre cœur construit au fil de la mélodie. Mon estomac se serre, mes doigts se crispent. Mes yeux se ferment mais des images se forment au plus profond de moi et je revois alors ce que je redoute le plus depuis des années : la mort de mon chat. L'être que j'ai respecté depuis ma plus tendre enfance s'est fait renversé par une voiture aussi rapidement que s'il aurait attrapé une souris dans la maison. Tout mon univers s'était effondré, ce jour là. Y repenser maintenant, en écoutant Lisa Gerrard, me rend malade... J'ouvre les paupières, fronce les sourcils, arrête le lecteur... et laisse mes larmes prendre la relève. Dans ce genre de moment, j'écoute quelques musiques du film « Brokeback Mountain » et me laisse aller dans l'ignorance des membres de ma famille. Paraître fort tout le temps n'est qu'un mensonge... Seulement, c'est quand ma solitude retombe sur mes épaules et que la seule compagnie que j'ai n'ai que Madame Souffrance du Passé, je me vide de mes larmes contenues et cherche la porte de sortie dans un dédale d'émotions fortes.
Après plusieurs minutes, j'inspire un bon coup. Ca y est, c'est passé. Mes yeux me piquent mais je m'en fiche. Je les frotte, nettoie mes joues, cherche à reprendre une expression à peu près normale sur le visage. Je déteste montrer mes émotions. Et surtout CE genre d'émotions. Je parais si faible... Je déteste les gens faibles.
Je reprends le cours des choses et rallume le lecteur VLC sur la chanson coréenne. Je ne connais ce groupe que depuis deux jours et, déjà, je ressens les effluves d'une irréprochable volonté fanatique. J'aime leur présence, leurs paroles... La mélodie d'arrière-plan, le défi des chorégraphies. Ca change de ce qu'on peut voir sur les clips américains. Au moins, ce groupe coréen ne voit pas l'intérêt de prendre quelques Bimbos et une piscine pour tourner des scènes totalement ridicules.

« I got you~ Under my Skin »

Je retrouve le punch. Ca y est. Je ressens l'électricité parcourir mon corps, l'intensité de l'adrénaline alors que je me vois sur une scène, dans mon propre esprit. Le public gueule, m'acclame et moi, j'en rejette une couche, je chante encore plus fort, je me déhanche comme un allumé. Je domine la scène, je domine le monde. C'est Moi que les gens regardent, c'est Moi qui suis le Roi.
Et alors que les images se font de plus en plus réelles, la mélodie baisse –la fin approche. Je cherche à attraper un morceau du rêve pour le garder avec moi. Je tiens maladroitement le micro pour éviter qu'il ne tombe. J'ai vidé mes entrailles, je n'ai plus de forces. Je respire avec hargne, je cherche un courant d'air frais. Mes oreilles bourdonnent sous les basses qui s'arrêtent lentement. Les cris s'affrontent, j'entends des centaines de groupies m'appeler.
Tout est terminé. J'ouvre les yeux, écoute, sombre dans ma propre léthargie. L'adrénaline retombe, je m'incline respectueusement devant ce public fidèle et déchaîné. Finalement, je tourne le dos au Grandiose et me retrouve à nouveau seul dans les coulisses de mon esprit vide.

Samedi 24 avril 2010 à 19:26

Titre : Le Beau et le Monstre.
Date de création : 13 avril 2010
Genre : Conte d'adolescence


Voilà que j'croise deux clochards d'une vingtaine d'années en train de baiser. La nana trop maquillée me fixe de ses yeux aussi luisants que ceux d'un chat. L'autre con, au-dessus d'elle, lui donne de violents coups de reins. Son bide rond joue de sa graisse dans un bruit de succion.
Ecoeurant.
Je n'ai jamais eu de vacances idylliques. Je vois toujours des trucs à faire gerber. A croire que je n'ai pas de chance.
Je passe donc mon chemin, un goût glauque en bouche, et je marche le long des murs. Personne ne fait attention à moi, personne ne me voit ; personne ne me touche. Je me fonds dans le décor. Depuis longtemps maintenant, je suis quelqu'un qui erre sans but précis –une âme en plein désespoir. A moins que je n'ai pas d'âme ? Je n'en sais rien. Je viens d'un Autre Monde. Le genre de monde qui vous fait peur dans vos cauchemars les plus sombres.
Autour de moi, les bruits me laissent indifférents. J'observe, je guète. Mais jamais ne m'implique.
J'ai oublié ce que c'était que d'être avec quelqu'un, d'être aimé, d'avoir une conversation. J'ai tout simplement oublié ce que c'était qu'une relation sociale.
Je suis un Monstre.

J'entre dans un bar. Derrière le comptoir, le barman au nœud papillon à la gorge ne daigne même pas lever les yeux des verres qu'il essuie et me lance simplement « Qu'est-c'que j'vous sers ? ». Indifférent, silencieux, le visage caché dans la pénombre qu'offrent mes cheveux mi-longs noirs, je tourne mon regard vers la carte scotchée sur le bar et y pose un doigt à la peau pâle. Doucement, je descend mon index le long de la liste des boissons puis m'arrête sur un choix irréel et sans importance « Vodka ».
Le barman prend tout son temps pour me servir. Pendant ces minutes, je m'installe sur une des hautes chaises et observe, entre mes cheveux raides, les quelques personnes présentes en cette fin de journée. Le bistrot est un peu vide mais certains habitués grommelaient entre eux et tapaient des poings alors qu'ils regardaient les résultats du PMU.
Décevant.
Exaspérant.
Affligeant.

Je tourne le dos à la salle. Ma veste en cuir me colle à la peau mais je l'ignore, levant mon verre en portant un toast silencieux à ma Solitude, puis je bois une gorgée de Vodka pure. Mon gosier le ressent mais j'ai pris l'habitude de boire au moins un verre d'alcool chaque jour. Au début, je m'en souviens, je toussais à n'en plus sentir mes amygdales et j'en avais les larmes aux yeux. Maintenant, ces liquides grossiers me coulaient dans la gorge comme une lettre qu'on glisse à la Poste.
Derrière moi, la porte du bar s'ouvre. Je sens le courant d'air frais me chatouiller la nuque pour le peu que mes cheveux le laisse passer. J'entends des rires fracassants, des voix tonitruantes et des commentaires plaintifs. Des filles parlaient, survoltées, des mecs renchérissaient en riant avec animosité.
Une belle brochette de lycéens débiles.
Pas la peine de me retourner pour en être certain.

Je les entends tous s'installer dans un coin de la salle et un type décide de commander pour tout le monde. Ses pas écrasent le parquet alors que je l'écoute s'approcher. Des frissons d'horreur me parcourent le dos alors qu'il passe derrière moi et je grogne silencieusement en serrant les dents. Je ne supporte pas qu'on passe derrière moi ! Un humain, qui plus est –être rachitique et égoïste.
« Cinq Coca et quatre bières Pression, s'il vous plait. »
Le barman marmonne une réponse et prépare la commande à son rythme d'escargot.
Dépêches toi, connard, que ce type se barre et me laisse seul à ce foutu comptoir !
Pris d'une soudaine curiosité –allez savoir pourquoi-, je jette un coup d'œil sur le côté, gardant toujours mon visage dans l'ombre. C'est alors que je tombe nez à nez avec deux yeux vert émeraude qui me fixent avec une certaine gaieté. Surpris, je détourne la tête et boit une nouvelle gorgée de Vodka.
« Mais que vois-je ? » entendis-je. « Ne serait-ce pas le GPDLC ? »
J'avale difficilement ma salive. Ce surnom me poursuit depuis belle lurette et je n'arrive toujours pas à l'encaisser. Gothique Psychopathe De La Classe. Bande de pourritures. A côté de moi, c'est cet enfoiré de Mac O'Leary, le sportif de la classe. Moi qui pensais être tranquille en ce premier jour de vacances. Je suis une ombre, une silhouette indistincte de la race humaine. On ne me remarque jamais alors pourquoi ce type vient me faire chier, maintenant ?! D'ailleurs, il ne m'a jamais adressé la parole jusqu'à présent. Et je lui en foutrai, moi, des GPDLC ! C'était son coach, son prof' de sport, qui m'avait surnommé ainsi. Les adultes sont tout aussi cons que les ado'.
Je trouve ça déplorable.
Détestable.
D'autres types avant moi s'étaient donnés la Mort parce qu'ils en avaient assez d'être le souffre-douleur des gens.
Moi, j'ai les couilles de rester en Vie. Je sais que ça fait chier le monde. Et je sais aussi que je ne vaux rien. Je suis un Monstre qui passe inaperçu, qui marche sur les trottoirs comme une âme en peine, habillé de noir et le visage caché sous des cheveux de jais.
L'Oréal, parce que je le vaux pas.
« Qu'est-ce que tu fais dans ce trou, GPDLC ? Tu t'es perdu ? T'as décidé de te bourrer la gueule avant de sauter dans le vide ? »
Ca te plairait, hein, que je finisse par m'écraser sur la voie ferrée. Connard.
Je l'ignore. J'entends quelqu'un qui se lève et sent la personne approcher –sorte de sixième sens qui s'est développé à force d'être seul.
« C'est qu'il est toujours aussi sombre, notre GPDLC » rigole alors la connasse qui a osé m'approcher et poser sa main sur mon dos.
J'ai horreur qu'on me touche et j'ai un mouvement de recul. Mais ce fut une erreur de ma part puisque ce geste brusque me fit défaut : ma chaise haute tangue et voilà que je me retrouve les quatre fers en l'air, le visage à portée des regards les plus indiscrets. Mes yeux croisent le regard surpris d'O'Leary et j'en ressens un vague sentiment d'abandon. Mon cœur est lourd, mon sang ne fait qu'un tour.
Qu'est-c'que je fous là ?
Pendant plusieurs secondes, j'étais sourd à tout ce qui m'entourait. Tout ce que j'avais face à moi était le regard étonné de cet enfoiré. Finalement, j'entends les éclats de rire partout dans la salle. Même le barman avait passé sa tête au-dessus du comptoir pour me fixer d'un air ironique.
Putain de solitude.
Je me redresse vivement, ne prends même pas la peine de payer ma consommation, et sort rapidement du bistrot. Une fois dehors, je prends une énorme inspiration à m'en donner mal au crâne. Je sens ma narine droite se boucher et j'expire par le nez avec force. Un filet de morve coule alors et j'y passe la manche de ma veste sans m'en rendre compte. Ma vue est brouillée et je mets bien cinq minutes avant de m'en rendre compte, planté devant la porte de cet Antre Maudit. Je m'affole en m'apercevant que j'étais en train de chialer comme une gonzesse et je me mets à courir au hasard, chassant les dernières images qui ont fait de moi la risée du seul bar que je fréquentais.
Quand je reprends mes esprits, mes pas m'avaient conduit sur le Pont de la Mort –surnommé ainsi car beaucoup d'ado' comme moi se sont jetés sur les rails en contrebas. Je renifle furieusement pour chasser les dernières larmes qui obstruaient ma vision et m'approche de la rambarde de sécurité. Derrière moi, la circulation de ce début de vacances était plutôt fluide et personne ne faisait attention à moi. Quelques piétons marchaient rapidement vers leur domicile pour rentrer avant la nuit. Le ciel s'assombrissait à vue d'œil mais j'ai décidé, pour une fois, d'ignorer le temps.
Je pose mes mains sur la rambarde et me penche en avant pour observer les rails. Je me demande combien de mètres il y a entre ces deux points stratégiques de Vie et de Mort. Bizarrement, à force de fixer les rails, j'ai l'impression de voir du sang de là d'où je suis. Je sais que c'est impossible, que c'est un effet d'optique et que les pluies incessantes de ces dernières semaines ont déjà effacé toute trace de suicide. Pourtant, c'est une image réaliste et fidèle qui m'attire.
Je ne bouge pas.
Je ferme les yeux.
Je sens le vent sur mon visage.
Mes cheveux sont emmêlés.
Je n'entends rien...

« JOSH ! »
...Quoique.
J'ouvre les paupières.
Pendant un instant, je ressens du vide. Le genre de vide que l'on a quand on a épuisé toutes ses forces. Le genre de vide qui nous prend et qu'on se croit alors indifférent à tout. Mon regard reste planté sur les rails de l'Enfer. Je n'ai jamais eu, jusqu'à présent, le vertige. Mais plus je regardais en bas, plus j'avais envie de sauter. C'était une force surnaturelle, exaltante et terrifiante. Je me voyais déjà m'écraser là en bas, déversant mes boyaux un peu partout. Mon sang aurait giclé tellement fort que, peut-être, j'aurai fait déraillé le prochain train à passer par là.
Quel con.
Plus aucun train ne passait par là depuis des années.
La voie ferrée était fermée et laisser à l'abandon.
« JOSH ! »
Serait-ce un tour du vent ou est-ce vraiment mon prénom que j'entends ? Mes parents sont les derniers à prononcer encore mon identité. Tout le reste du monde me surnomme GPDLC. Je n'ai aucun ami. Les voisins me détestent. Je me traite de Monstre pour me convaincre qu'ils ont tous raison. Je ne suis pas Gothique, je ne suis pas Psychopathe.
Je suis un Monstre.
Je soupire d'exaspération et tourne le dos au Vide. Je m'adosse à la rambarde et lève les yeux au ciel sombre. Les lampadaires de la route viennent de s'allumer et quelques voitures passent encore par là pour rentrer du boulot. Je n'ai jamais aimé ce monde. Je me suis toujours senti Différent. C'est ce qui a fait ma force, mais aussi ma faiblesse. Je n'aime personne, personne ne m'aime.
Je suis dégoûtant.
Je suis un Monstre.

Mes mains sont gelées, posées sur la rambarde. Je bouge un peu les doigts mais sens toujours plus le vent qui s'affole sur ma peau. Je ferai mieux de rentrer. D'oublier cette galère et de me remettre à ma philosophie « demain est un autre jour ». Même si je suis seul, je n'ai pas envie de mourir. Alors pourquoi je resterai ici ?
Je m'écarte du bord et marche sur le trottoir, la tête baissée. Je suis encore le seul con à errer à pieds.
« JOSH ! »
Cette fois, c'est bien distinct. Je m'arrête et guette encore mon prénom dans la pénombre. J'ai quitté le pont et les lampadaires les plus proches sont à quelques mètres devant moi. Pourtant, je n'ai aucun mal à voir. Je lève les yeux, regarde à droite et à gauche.
Rien.
Je fronce les sourcils.
Puis je me retourne.
« Mac ?... »
A cinq mètres à peine de moi, le Leader sportif de la classe me fixe. Son souffle est court et il créé de la fumée avec sa bouche. Nous sommes fin de l'hiver et il fait encore un peu frisquet le soir. De la sueur ruisselle le long de son visage. Même de là où je suis, je le vois. Mais le plus surprenant encore c'est sa bouche.
Ses lèvres sourient.
ME sourient.

Je ne comprends pas. Pendant un instant, j'imagine qu'il regarde quelqu'un d'autre et je jette un coup d'œil derrière moi.
Personne.
« Josh. »
Je l'entends m'appeler par mon prénom. Il s'approche de moi d'un pas fatigué sans cesser de sourire. Une fois devant moi, il me tend quelque chose.
« Tu as oublié ça. »
Mon portefeuille.
Je le lui arrache des mains et le fourre dans la poche arrière de mon jean noir. Je ne le regarde pas, lui fait simplement un signe de tête sans prononcer le moindre mot puis lui tourne le dos pour reprendre ma marche.
Pour être franc, je ne suis pas si indifférent. Physiquement, porter un masque est facile. Mais mon cœur, lui, tambourine et risque à tout moment de sortir de ma poitrine. Pourquoi ce type s'était donné la peine de courir me retrouver pour me rendre mon portefeuille ? N'aurait-il pas pu le jeter dans une poubelle, comme n'importe qui l'aurait fait à sa place ? Cela me désoriente.
J'en ai assez de réfléchir.
Et alors que j'arrive devant le portail de chez moi, je sens des frissons dans mon dos –le genre de frissons douloureux mais magiques quand quelqu'un vous passe le bout des doigts le long de la colonne. C'est bien la première fois que j'ai cette impression et je me retourne alors. A deux mètres, O'Leary est là.
Et me sourit.
« Je voulais être sûr que tu rentres bien. »
Après ma demi seconde d'étonnement, je fronce les sourcils. Et j'ose ouvrir la bouche pour la première fois depuis... trop longtemps :
« Pourquoi ? »
Ma voix est rocailleuse, sèche et sans émotion. Je l'entends et je revois cette image nette d'un corps sans vie sur les rails, les entrailles déchirées et le sang coagulant un peu partout. Mais cette vision disparaît très vite lorsque Mac O'Leary reprend la parole.
« Je voulais m'excuser mais tu ne m'en a pas laissé le temps. »
Une conversation était née avant même que je m'en aperçoive. J'ouvre mon portail, entre dans la cour et referme derrière moi. Ce portail est très petit, cela va s'en dire, puisqu'il m'arrive au bassin. J'ai déjà dit à mon père, il y a quelques années, que ça servait à rien.
« T'excuser de quoi ? De m'avoir appelé GPDLC ? De m'avoir poursuivit pour me rendre mon portefeuille ?
_ Non.
_ Je n'ai pas besoin de tes excuses.
_ Je crois que si.
_ Et qu'est-ce qui te fait croire ça ? »

Cette fois, je le fixe dans les yeux. Le portail nous sépare et je pense que c'est cette barrière qui me donne la force de l'affronter. Autrement, je lui aurai déjà tourné le dos pour rentrer. Il s'approche, lève le bras. Ses doigts tout froids me frôlent la joue avant qu'il ne fourre sa main dans la poche de son pantalon pour reprendre la discussion :
« Je m'excuse de t'avoir fait pleurer. »
Surpris, j'écarquille les yeux. Et avant même que je ne m'en rende compte, je me mets à geindre comme un gosse. Face à moi, Mac souriait toujours. Et même si le portail nous séparait, il s'approche un peu plus et passe ses bras autour de moi pour me serrer contre son cœur. Cette sensation est nouvelle, bizarre... et devient une drogue. Mon besoin d'affection se réveille et je m'accroche à lui comme à une bouée de sauvetage.
Derrière moi, la porte de la maison s'ouvre et j'entends mes parents parler entre eux.
Mac se recule un peu, efface mes larmes d'un coup de pouce et colle son front au mien. Son sourire est franc, adorable. Une fossette minuscule s'est creusée au coin de sa bouche. Pris d'un élan stupide, je touche ce creux du bout de l'index puis vint y poser un baiser. Cela ne déstabilise pas ce Sportif connu pour être le Bourreau des Cœurs.
Moi, je me sens con et je recule vivement de deux pas. Je le fixe comme si je voyais un fantôme, terrifié à l'idée d'être devenu sa prochaine victime. Mais O'Leary n'abandonne pas son tact et ose secouer le bras en l'air pour saluer mes parents –qui le lui rendent bien, d'ailleurs.
« On se reverra à la rentrée, Josh. Attends moi. »
Avant même que mon cerveau enregistre l'information, Mac s'en alla et disparut au coin de la rue.
Je me suis mis à trembler de tous mes membres et me suis effondré là, derrière le portail, les yeux exorbités et un filet de bave le long du menton. D'après mes parents, lorsqu'ils sont venus me chercher et m'aider, j'avais un sourire niais sur le visage... mais je ne les ai jamais cru.

________________________

Deux semaines plus tard.
Ma vie n'a pas changé. Je n'ai pas revu Mac depuis cette fameuse soirée et c'est tant mieux. Même maintenant, je ne suis toujours pas prêt à l'affronter, ne sachant pas à quoi m'en tenir. Aujourd'hui, le ciel est bleu, le soleil brille un peu trop à mon goût. Comme d'habitude, je suis vêtu de noir, ce qui ne m'aide pas sous les rayons de chaleur. J'entre dans la cour du lycée et me plante sous le saule. Je m'adosse au tronc et observe les alentours. Tout le monde est content de se retrouver, tout le monde sourit –même ceux qui détestent les cours. Toujours seul, je jette un regard entre les feuillages. Au-dessus de moi, un écureuil grignote une noisette trouvée certainement non loin. J'esquisse un léger sourire.
Puis repose mes yeux sur la cour et ses occupants.
Mac est arrivé, accompagné de tout son groupe.
C'est celui qu'on remarque le plus dans la bande. Il est plus grand, plus robuste... et nettement plus beau.
Je soupire.
Je ne suis qu'un Monstre, après tout.

Il cherche quelque chose, on dirait. Et je suppose que ce n'est pas moi. Pourtant, lorsque son regard se pose sur moi, il esquisse un énorme sourire et se met à marcher dans ma direction. Une fille lui attrape le bras.
« Où tu vas ?
_ Rejoindre ma Vie. »

Et il se dégage pour s'approcher toujours plus de moi. Derrière lui, tous ses copains le suivent du regard. Je suis mal à l'aise, je sens mes mains trembler et des gouttes de sueur couler le long de mon dos. Une fois devant moi, il n'attendit pas deux secondes que ses mains s'emparent alors des miennes.
J'entends les « Ooooh » et des « Hein ?! » un peu partout. Puis, plus rien. Mac vient de m'embrasser le front.
Allez savoir pourquoi, aujourd'hui j'avais décidé de laisser mes cheveux en arrière.
« Bonjour, Josh. »
Je penche la tête sur le côté comme un chien qui n'aurait rien compris et ne cesse de le fixer avec étonnement. Mac rit légèrement.
« Arrêtes de faire cette tête. »
Je me reprends un peu.
« Quelle tête veux-tu que je fasse ? J'y comprends rien. »
Il rit à nouveau, silencieusement, puis passe ses doigts dans mes cheveux pour les écarter encore plus de mon visage.
« Alors je vais éclairer ta lanterne. »
Et il se penche vers moi pour poser ses lèvres sur les miennes.

« Je suis un Monstre. »
C'est ce que je murmure dès que je retrouve l'usage de la parole.
Assis à côté de moi, sous le saule, Mac passe son bras autour de mes épaules et m'embrasse la tête avant de répliquer délicieusement, en murmurant à mon oreille :
« Tu es ma Vie. »

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