Titre : Triste Résolution
Date de création : 17 octobre 2008
Genre : Triste
Putain de puanteur. Les déchets s'amoncelaient depuis des semaines sur le même sol. Notre terrain de jeu était presque enseveli sous les paquets vides de bière, les emballages de nourriture et les restes de certains repas copieux. Une chose était sûre : les chats de gouttière s'en donnaient à cœur joie. Ici, c'est un ancien chantier en construction. Abandonné à la nature, on l'a réquisitionné mes potes et moi. Seulement, alors que la pluie tombait averse et que les éclairs fendaient le ciel, j'étais seul et égaré. Je m'étais posé sous une poutre qui faisait notre quartier général et, mains dans les poches, je repensais avec culpabilité à ce qui m'avait amené ici. Cet endroit était désert depuis bien longtemps. En fait, on n'y jouait plus depuis des années. Nous avions dépassé l'âge des gendarmes et des voleurs depuis plus de dix ans. Nous étions tous au lycée. Du moins, presque tous. J'ai redoublé et deux autres potes aussi. L'un d'eux, d'ailleurs, l'avait fait exprès afin de rester avec nous.
Et Ryan, lui, était à l'université. Enfoiré qu'il était. On s'était tous jurés de revenir aujourd'hui, ici, sur ce chan-tier ! Le dix octobre, treize heures trente. Et j'étais seul. Bizarrement, en me levant ce matin, j'avais été prati-quement sûr que personne ne s'en souviendrait. Alors ça ne m'étonnait pas que, dans ce fouillis puant et cette boue, il n'y avait que moi. Un soupir traversa mes lèvres. Faire une promesse quand on a neuf ans, ça n'a jamais servi à rien. La preuve en ce jour pluvieux. A croire que Dieu, là-haut, est avec moi. Saloperie de Dieu...
Un bruit de pas. Instinctivement, je me redresse, manquant de peu de me prendre cette foutue poutre en ferraille contre le crâne. Un mec en uniforme noir approchait, démarche de riche et parapluie à la main. Franchement, il est trop bien habillé pour traîner dans le coin. J'aime pas ce genre de type, en plus. Ca se la pète parce que ça a du fric. Affligeant et détestable. Mais sa tête me disait vaguement quelque chose... Des cheveux noirs, coupés un peu n'importe comment, des yeux marron... Le genre d'homme qu'on croise tous les jours, quoi. Seulement, lui, il avait quelque chose de spécial. Et alors que je réfléchissais en restant plan-té comme un con au milieu de la boue, il s'arrête devant moi, très proche afin de me mettre sous son para-pluie. Une invention de merde, si vous voulez mon avis. Je préférais nettement être trempé de la tête aux pieds que de me balader avec ce fichu truc en main et me taper la honte.
Il sourit.
Ryan.
L'universitaire.
Putain, il est venu ! Moi qui pensais qu'il était en Angleterre, tranquille, pénard et bien au chaud, voilà qu'il se présente devant moi avec l'air chic et raffiné. D'ailleurs, c'était pas de l'eau de Cologne bon marché que je sentais émaner de lui ? Allez, on s'en fout. Au moins un qui s'était souvenu de notre rendez-vous. Sans ré-fléchir, je lui présente ma main, en espérant ne pas avoir l'air trop gaga. Après toutes ces années, Ryan était devenu beau et élégant. Il ne devait sans doute pas passer inaperçu auprès des filles. A l'époque, il portait des lunettes rondes et était le plus timide de tous. Jamais il n'avait voulu faire un gendarme ou un voleur alors il s'amusait à jouer aux petites voitures pas très loin de nous. Comme quoi le plus petit devient le plus grand...
Il finit par me serrer la main. Se souvient-il de moi ? Oui. Il prononce mon nom avec lenteur et tendresse. Bon sang, depuis quand un mec ne m'avait pas fait autant d'effets ?! Oui, oui, j'suis homosexuel, et alors. Ryan était vraiment devenu canon, ne mâchons pas nos mots. Et je ne pouvais quitter ses prunelles des yeux – elles brillaient comme des milliers d'étoiles. Qu'est-ce que je raconte, moi ? Je suis loin du conte de fées, quand même. Allez, je lui lâche la main et regarde ma montre. Quinze heures. Est-ce que les autres allaient venir ? C'était peu probable. Ils avaient déjà deux heures de retard. A moins que ce ne soit moi qui m'étais fixé une mauvaise heure dans la tête ! Ca m'arrivait souvent, à l'époque. Peut-être que ça n'avait pas changé.
Un ballon de basket entra en collision avec l'arrière de ma tête. AIE ! Le genre de truc qui fait bien mal. Je me retourne et découvre alors les quatre autres potes que j'attendais. Deux étaient au lycée avec moi alors je passais directement aux deux autres. L'un était habillé en sportif. D'ailleurs, c'est lui qui rechercha le bal-lon de basket. Enfoiré... C'était pas la peine de me balancer ta foutue balle dans le crâne ! L'autre, au con-traire, semblait relax. Le genre de mec qui bosse dans l'informatique, quoi. J'avais l'impression d'être le seul à ne pas avoir évolué. Je ne savais pas quoi faire de ma vie, dans quel domaine m'orienter.
Dix-neuf ans, on est con.
Dix-neuf ans, on trace encore l'adolescence.
Dix-neuf ans, on court encore après les filles... Du moins, pour eux, très certainement.
Dix-neuf ans, l'âge où on se pose encore une multitude de questions totalement futiles.
Oui, j'étais arrivé en avance. Thomas, le sportif, me l'a fait remarquer en riant. Au moins, je n'étais pas en retard. On était tous mouillés, sauf Ryan. D'ailleurs il essayait toujours de me couvrir de son stupide para-pluie rouge et blanc – couleurs qui contrastaient sérieusement avec le bleu marine de son uniforme scolaire. Je ne pouvais m'empêcher d'être surpris. A l'époque, personne ne se souciait de personne. Ils jouaient sans se poser de questions. Maintenant, Ryan semblait s'inquiéter pour moi derrière son faux sourire. Bon sang, on en avait du temps à rattraper.
Tout se raconter, dévoiler les premiers pas dans la vie, les relations amoureuses... Je préférais garder mon homosexualité pour moi. Et alors que l'orage s'éloignait à grands pas et que la pluie se calmait, Ryan, assis sur la même poutre que moi pour laisser le parapluie au-dessus de nos têtes, ne répondait que par de va-gues réponses aux questions qu'on lui posait. Que lui était-il donc arrivé pour qu'il soit aussi silencieux et renfermé ? Je ne pouvais pas m'empêcher de me questionner à son sujet. Et lorsqu'une quinte de toux ani-ma ses épaules, l'inquiétude nous ébranla mes potes et moi. Le sang. Du sang coulait de sa bouche.
Nous n'avions pas cherché à comprendre. Nous avions tous le permis et l'avons emmené à l'hôpital en pre-nant deux voitures. C'était moi qui roulais pour l'emmener. Je tenais absolument à garder un œil sur lui pen-dant le trajet. Pour des retrouvailles, c'en étaient. Après dix ans sans nouvelles, Ryan l'universitaire était emmené d'urgence à l'hosto. Les médecins accoururent, ce qui nous fit angoisser encore plus. Mes mains étaient moites, la sueur coulait le long de mes tempes. J'avais la frousse, les pétoches. Voir Ryan dans cet état m'a fait un choc. En salle d'attente, on attendait comme des cons, bougeant sans cesse de place sans réussir à se calmer. Les nerfs étaient à bloc, les cœurs battaient à tout rompre. Dehors, un rayon de soleil traversa les nuages gris et un arc-en-ciel se créa. Les couleurs m'éblouissaient. J'en regrettais l'orage. Je détestais cette lourde atmosphère. Comme si Dieu, dans son humble connerie, avait décidé de sourire en regardant la scène. Il n'y avait rien de marrant ! Mes pas devenaient rapides. Je marchais de long en large, animant encore plus les nerfs de mes compagnons. Finalement, je préférai arrêter cette foutue séance d'angoisse devant la fenêtre. La vitre était froide, contre mon front. J'avais une folle envie de la briser. Un corbeau se posa sur la pelouse, un peu plus loin, et poussa son croassement rauque et maladif. Un mauvais pressentiment enserra mes entrailles. Mon estomac me faisait mal, aussi mal que ces nerfs qui jouaient sous mon crâne. Un hurlement se trouvait dans ma gorge et ne demandait qu'à sortir...
Je n'eu pas le temps de me laisser aller. Un médecin nous convoqua dans le couloir. Son air grave n'inaugurait rien de bon. Mon pressentiment était donc vrai. La chair de mon cou devint raide, des frissons me parcoururent le corps et les larmes emplissaient déjà mon champ de vision. Mon corps tremblait... Je mordis ma lèvre afin de reprendre un peu de contenance. Lorsque le sang s'écoula le long de mon menton et que le médecin s'apprêta à parler, mon cri sortit tout seul, déchirant le pesant silence qui s'était installé dans le couloir. Mains sur les oreilles, je ne voulais rien entendre... J'avais peur. Peur du résultat. Au fond, je connaissais déjà le verdict mais n'arrivais pas à l'assimiler avec la réalité. Quelque chose en moi s'était brisée. Et alors que je reniflais comme un gamin, empoignant mes cheveux avec hargne, l'homme me prit par l'épaule et m'invita à le suivre. Sans cesser mes pleurs qui, pour le moment, n'étaient pas encore fon-dés, il m'entraîna dans la chambre qui gardait, entre ses murs, la tranquillité d'une âme disparue. Mon re-gard se posa sur le torse inerte de Ryan. Il ne respirait plus... Son visage était figé, comme s'il n'était qu'une poupée de cire. Un spectacle que j'aurai préféré éviter, même si j'en avais besoin pour faire mon deuil.
Après dix ans, la vie s'arrêtait nette pour l'un d'entre nous. D'après le médecin, il avait une maladie cardia-que depuis la naissance et pouvait mourir à tout moment. C'était un miracle, d'après lui, qu'il ai vécu aussi longtemps. Mes mains avaient agrippé l'une de Ryan. La peau était froide, sans vie. La douleur me rongeait les entrailles. Dur de se dire que n'importe qui pouvait mourir n'importe quand. Je n'arrivais même plus à pleurer tellement j'avais mal. La Mort devrait être interdite pour ceux qui ne le méritaient pas.
Quelques jours étaient passés. Dès l'aube, mes potes et moi on se retrouvait dans le chantier. En silence, nous avions retiré toutes les merdes qui s'y étaient accumulées. Peut-être qu'on essayait de rendre hom-mage à Ryan. Nous souffrions tous en silence. Pas besoin de mots pour qu'on se comprenne. Dès qu'on s'asseyait, on se collait tous l'un contre l'autre et demeurions silencieux, priant pour que notre ami défunt soit libre et en paix. Au bout du cinquième jour, alors que j'ouvrais à peine les yeux, quelque chose me frap-pa : je n'étais pas seul. Je me suis redressée sur mon lit et posa mon regard sur Ryan... Ryan, l'enfant ti-mide à lunettes qu'il était autrefois. Il souriait dans ma direction, tendant une main vers moi. Est-ce que je rêvais ? Ryan était là, comme s'il n'avait jamais disparu, comme si nous étions restés dans le passé de notre enfance. Ma main toucha la sienne et une immense chaleur parcourue mon corps. Mon poids sembla s'adoucir, mes vêtements étaient devenus trop grands... Et voilà que je marchais aux côtés de Lui en direc-tion d'une lumière lointaine.
Mes parents m'avaient pleuré, ce jour-là. Mon corps avait été trouvé sans vie dans mon lit vers onze heures du matin, poignets ouverts. Mes potes s'étaient présentés à l'enterrement, avaient priés comme des dingues alors qu'ils n'étaient même pas croyants. Une fille était venue sur ma tombe, un bouquet de fleurs à la main, en avouant des sentiments qui me paraissaient bien éphémères, maintenant. D'ailleurs, je ne la connaissais pas. D'autres personnes venaient, chaque jour, vidant leur peine sur le marbre blanc où mon nom était gra-vé.
Moi, j'étais avec Ryan... Et nous avions neuf ans.
Et Ryan, lui, était à l'université. Enfoiré qu'il était. On s'était tous jurés de revenir aujourd'hui, ici, sur ce chan-tier ! Le dix octobre, treize heures trente. Et j'étais seul. Bizarrement, en me levant ce matin, j'avais été prati-quement sûr que personne ne s'en souviendrait. Alors ça ne m'étonnait pas que, dans ce fouillis puant et cette boue, il n'y avait que moi. Un soupir traversa mes lèvres. Faire une promesse quand on a neuf ans, ça n'a jamais servi à rien. La preuve en ce jour pluvieux. A croire que Dieu, là-haut, est avec moi. Saloperie de Dieu...
Un bruit de pas. Instinctivement, je me redresse, manquant de peu de me prendre cette foutue poutre en ferraille contre le crâne. Un mec en uniforme noir approchait, démarche de riche et parapluie à la main. Franchement, il est trop bien habillé pour traîner dans le coin. J'aime pas ce genre de type, en plus. Ca se la pète parce que ça a du fric. Affligeant et détestable. Mais sa tête me disait vaguement quelque chose... Des cheveux noirs, coupés un peu n'importe comment, des yeux marron... Le genre d'homme qu'on croise tous les jours, quoi. Seulement, lui, il avait quelque chose de spécial. Et alors que je réfléchissais en restant plan-té comme un con au milieu de la boue, il s'arrête devant moi, très proche afin de me mettre sous son para-pluie. Une invention de merde, si vous voulez mon avis. Je préférais nettement être trempé de la tête aux pieds que de me balader avec ce fichu truc en main et me taper la honte.
Il sourit.
Ryan.
L'universitaire.
Putain, il est venu ! Moi qui pensais qu'il était en Angleterre, tranquille, pénard et bien au chaud, voilà qu'il se présente devant moi avec l'air chic et raffiné. D'ailleurs, c'était pas de l'eau de Cologne bon marché que je sentais émaner de lui ? Allez, on s'en fout. Au moins un qui s'était souvenu de notre rendez-vous. Sans ré-fléchir, je lui présente ma main, en espérant ne pas avoir l'air trop gaga. Après toutes ces années, Ryan était devenu beau et élégant. Il ne devait sans doute pas passer inaperçu auprès des filles. A l'époque, il portait des lunettes rondes et était le plus timide de tous. Jamais il n'avait voulu faire un gendarme ou un voleur alors il s'amusait à jouer aux petites voitures pas très loin de nous. Comme quoi le plus petit devient le plus grand...
Il finit par me serrer la main. Se souvient-il de moi ? Oui. Il prononce mon nom avec lenteur et tendresse. Bon sang, depuis quand un mec ne m'avait pas fait autant d'effets ?! Oui, oui, j'suis homosexuel, et alors. Ryan était vraiment devenu canon, ne mâchons pas nos mots. Et je ne pouvais quitter ses prunelles des yeux – elles brillaient comme des milliers d'étoiles. Qu'est-ce que je raconte, moi ? Je suis loin du conte de fées, quand même. Allez, je lui lâche la main et regarde ma montre. Quinze heures. Est-ce que les autres allaient venir ? C'était peu probable. Ils avaient déjà deux heures de retard. A moins que ce ne soit moi qui m'étais fixé une mauvaise heure dans la tête ! Ca m'arrivait souvent, à l'époque. Peut-être que ça n'avait pas changé.
Un ballon de basket entra en collision avec l'arrière de ma tête. AIE ! Le genre de truc qui fait bien mal. Je me retourne et découvre alors les quatre autres potes que j'attendais. Deux étaient au lycée avec moi alors je passais directement aux deux autres. L'un était habillé en sportif. D'ailleurs, c'est lui qui rechercha le bal-lon de basket. Enfoiré... C'était pas la peine de me balancer ta foutue balle dans le crâne ! L'autre, au con-traire, semblait relax. Le genre de mec qui bosse dans l'informatique, quoi. J'avais l'impression d'être le seul à ne pas avoir évolué. Je ne savais pas quoi faire de ma vie, dans quel domaine m'orienter.
Dix-neuf ans, on est con.
Dix-neuf ans, on trace encore l'adolescence.
Dix-neuf ans, on court encore après les filles... Du moins, pour eux, très certainement.
Dix-neuf ans, l'âge où on se pose encore une multitude de questions totalement futiles.
Oui, j'étais arrivé en avance. Thomas, le sportif, me l'a fait remarquer en riant. Au moins, je n'étais pas en retard. On était tous mouillés, sauf Ryan. D'ailleurs il essayait toujours de me couvrir de son stupide para-pluie rouge et blanc – couleurs qui contrastaient sérieusement avec le bleu marine de son uniforme scolaire. Je ne pouvais m'empêcher d'être surpris. A l'époque, personne ne se souciait de personne. Ils jouaient sans se poser de questions. Maintenant, Ryan semblait s'inquiéter pour moi derrière son faux sourire. Bon sang, on en avait du temps à rattraper.
Tout se raconter, dévoiler les premiers pas dans la vie, les relations amoureuses... Je préférais garder mon homosexualité pour moi. Et alors que l'orage s'éloignait à grands pas et que la pluie se calmait, Ryan, assis sur la même poutre que moi pour laisser le parapluie au-dessus de nos têtes, ne répondait que par de va-gues réponses aux questions qu'on lui posait. Que lui était-il donc arrivé pour qu'il soit aussi silencieux et renfermé ? Je ne pouvais pas m'empêcher de me questionner à son sujet. Et lorsqu'une quinte de toux ani-ma ses épaules, l'inquiétude nous ébranla mes potes et moi. Le sang. Du sang coulait de sa bouche.
Nous n'avions pas cherché à comprendre. Nous avions tous le permis et l'avons emmené à l'hôpital en pre-nant deux voitures. C'était moi qui roulais pour l'emmener. Je tenais absolument à garder un œil sur lui pen-dant le trajet. Pour des retrouvailles, c'en étaient. Après dix ans sans nouvelles, Ryan l'universitaire était emmené d'urgence à l'hosto. Les médecins accoururent, ce qui nous fit angoisser encore plus. Mes mains étaient moites, la sueur coulait le long de mes tempes. J'avais la frousse, les pétoches. Voir Ryan dans cet état m'a fait un choc. En salle d'attente, on attendait comme des cons, bougeant sans cesse de place sans réussir à se calmer. Les nerfs étaient à bloc, les cœurs battaient à tout rompre. Dehors, un rayon de soleil traversa les nuages gris et un arc-en-ciel se créa. Les couleurs m'éblouissaient. J'en regrettais l'orage. Je détestais cette lourde atmosphère. Comme si Dieu, dans son humble connerie, avait décidé de sourire en regardant la scène. Il n'y avait rien de marrant ! Mes pas devenaient rapides. Je marchais de long en large, animant encore plus les nerfs de mes compagnons. Finalement, je préférai arrêter cette foutue séance d'angoisse devant la fenêtre. La vitre était froide, contre mon front. J'avais une folle envie de la briser. Un corbeau se posa sur la pelouse, un peu plus loin, et poussa son croassement rauque et maladif. Un mauvais pressentiment enserra mes entrailles. Mon estomac me faisait mal, aussi mal que ces nerfs qui jouaient sous mon crâne. Un hurlement se trouvait dans ma gorge et ne demandait qu'à sortir...
Je n'eu pas le temps de me laisser aller. Un médecin nous convoqua dans le couloir. Son air grave n'inaugurait rien de bon. Mon pressentiment était donc vrai. La chair de mon cou devint raide, des frissons me parcoururent le corps et les larmes emplissaient déjà mon champ de vision. Mon corps tremblait... Je mordis ma lèvre afin de reprendre un peu de contenance. Lorsque le sang s'écoula le long de mon menton et que le médecin s'apprêta à parler, mon cri sortit tout seul, déchirant le pesant silence qui s'était installé dans le couloir. Mains sur les oreilles, je ne voulais rien entendre... J'avais peur. Peur du résultat. Au fond, je connaissais déjà le verdict mais n'arrivais pas à l'assimiler avec la réalité. Quelque chose en moi s'était brisée. Et alors que je reniflais comme un gamin, empoignant mes cheveux avec hargne, l'homme me prit par l'épaule et m'invita à le suivre. Sans cesser mes pleurs qui, pour le moment, n'étaient pas encore fon-dés, il m'entraîna dans la chambre qui gardait, entre ses murs, la tranquillité d'une âme disparue. Mon re-gard se posa sur le torse inerte de Ryan. Il ne respirait plus... Son visage était figé, comme s'il n'était qu'une poupée de cire. Un spectacle que j'aurai préféré éviter, même si j'en avais besoin pour faire mon deuil.
Après dix ans, la vie s'arrêtait nette pour l'un d'entre nous. D'après le médecin, il avait une maladie cardia-que depuis la naissance et pouvait mourir à tout moment. C'était un miracle, d'après lui, qu'il ai vécu aussi longtemps. Mes mains avaient agrippé l'une de Ryan. La peau était froide, sans vie. La douleur me rongeait les entrailles. Dur de se dire que n'importe qui pouvait mourir n'importe quand. Je n'arrivais même plus à pleurer tellement j'avais mal. La Mort devrait être interdite pour ceux qui ne le méritaient pas.
Quelques jours étaient passés. Dès l'aube, mes potes et moi on se retrouvait dans le chantier. En silence, nous avions retiré toutes les merdes qui s'y étaient accumulées. Peut-être qu'on essayait de rendre hom-mage à Ryan. Nous souffrions tous en silence. Pas besoin de mots pour qu'on se comprenne. Dès qu'on s'asseyait, on se collait tous l'un contre l'autre et demeurions silencieux, priant pour que notre ami défunt soit libre et en paix. Au bout du cinquième jour, alors que j'ouvrais à peine les yeux, quelque chose me frap-pa : je n'étais pas seul. Je me suis redressée sur mon lit et posa mon regard sur Ryan... Ryan, l'enfant ti-mide à lunettes qu'il était autrefois. Il souriait dans ma direction, tendant une main vers moi. Est-ce que je rêvais ? Ryan était là, comme s'il n'avait jamais disparu, comme si nous étions restés dans le passé de notre enfance. Ma main toucha la sienne et une immense chaleur parcourue mon corps. Mon poids sembla s'adoucir, mes vêtements étaient devenus trop grands... Et voilà que je marchais aux côtés de Lui en direc-tion d'une lumière lointaine.
Mes parents m'avaient pleuré, ce jour-là. Mon corps avait été trouvé sans vie dans mon lit vers onze heures du matin, poignets ouverts. Mes potes s'étaient présentés à l'enterrement, avaient priés comme des dingues alors qu'ils n'étaient même pas croyants. Une fille était venue sur ma tombe, un bouquet de fleurs à la main, en avouant des sentiments qui me paraissaient bien éphémères, maintenant. D'ailleurs, je ne la connaissais pas. D'autres personnes venaient, chaque jour, vidant leur peine sur le marbre blanc où mon nom était gra-vé.
Moi, j'étais avec Ryan... Et nous avions neuf ans.