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~Antre de Riku-san~

Samedi 24 avril 2010 à 19:30

Titre : Le récit de l'étalon
Date de création : 5 avril 2009
Genre : Point de vue animal - Réalité

J'ai bientôt un an. Oui, bientôt un an et je suis destiné à reprendre le rôle de mon père, chef des étalons sauvages de la contrée. Grand, fort et courageux, mon père a vu évoluer tout le clan depuis des années. Fier de porter son pelage noir, je gambade fièrement dans la prairie en compagnie des autres poulains.
Il nous est interdit de franchir les premiers arbres de la forêt. D'après ma maman, le danger rôde partout, et surtout à couvert. Alors je préfère jouer non loin d'elle.
Le soleil est haut, dans le ciel. Papa m'a dit un jour que ce grand rond jaune et lumineux nous servait de guide depuis la nuit des temps, laissant aux chevaux la possibilité d'être libres. Nous allons bientôt quitter ces terres pour trouver d'autres herbes à manger avant l'hiver. Papa tient absolument à être en alerte chaque minute qui passe. C'est pourquoi il s'interdit de jouer avec moi. Alors je compense son absence avec les autres jeunes de mon âge.
Cela fait deux bonnes heures que je m'amuse à travers la prairie. Maman me surveille, je le sens. Alors ça me rassure. Seulement, en entendant un long cri d'agonie non loin, je m'arrête et dresse les oreilles avec peur. Je vois l'un des chevaux du clan tomber sur le côté, inerte. Alors tout le monde se met à galoper et moi, je reste planté là. J'ai peur. Ma respiration est rapide et je me suis épuisé à jouer avec les autres. Du coup, je suis le seul à être à l'arrêt. Tout le monde part dans la direction opposée...
C'est alors que je les vois : deux humains sur des chevaux scellés, fusils et cordes en main. Papa m'a expliqué qu'ils étaient nos plus grands ennemis, qu'ils faisaient tout pour nuire à notre liberté.
Je me mets alors à galoper. Pas dans le sens qu'a pris ma mère mais dans l'autre, droit vers les hommes. Je suis aussi brave que mon père... Oui ! Je galope, de plus en plus vite, tambourinant la terre de mes sabots. Je dois m'enfuir ! Devant moi, les chevaux se resserrent, guidés par les rênes que tiennent les bipèdes. L'issu se retrouve alors bloquée mais je ne m'arrête pas pour autant. Je souffle des naseaux, je fais monter mon courage d'un cran et... je prends un virage serré sur la droite, les évitant de justesse. Je dérape légèrement mais continue ma course folle. Les chevaux se sont cabrés et l'un des hommes est tombé. Hennissant mon contentement, j'accélère une nouvelle fois en direction de la rivière. Derrière moi, le deuxième homme me suit rapidement, pointant son arme vers moi.
Respirant à pleins naseaux, paniqué par le coup de feu qui siffle à l'une de mes oreilles, je me mets à zigzaguer jusqu'à l'eau et saute comme une biche pour traverser rapidement. Une fois de l'autre côté, je reprends mon souffle et observe l'homme qui s'est arrêté devant la rivière. Il m'observe, me fixe... Son fusil n'est plus braqué sur moi. Mes oreilles sont dressées vers lui alors que je respire encore rapidement. Je suis encore trop petit pour ce genre de jeu suicidaire. Mon père va me gronder, c'est certain.
Fier d'avoir tout de même réussi le plus dur, je me cabre en hennissant, jouant de mes pattes avant dans l'air pour les reposer ensuite farouchement sur le sol. Puis, rapidement, je fais demi-tour et m'éloigne de la rivière en galopant à nouveau. Même si je n'ai pas repris totalement une respiration normale, il faut que je m'éloigne. Sécurité avant tout.

Les mois ont passé. Je suis devenu l'étalon noir que mon père voulait comme chef de clan. J'ai passé des journées entières à traverser les plaines et les montagnes, essayant en vain de rejoindre ma famille. Jamais je n'ai retrouvé la trace de l'un des chevaux de la tribu. Cheval sauvage et libre, je voyage avec l'espoir encore au ventre. J'ai grandi trop vite, oubliant les jeux et l'innocence de la jeunesse, bravant les interdits pour rester en vie. Plusieurs humains ont croisé ma route, mais personne n'a encore osé me capturer. Ce n'est qu'une question de temps, je le sais. Pour le moment, ils se méfient de moi.
La lune est pleine, ce soir. Les étoiles brillent de milles feux et je me demande si ma mère est encore en vie. Je continue ma marche, sans oser m'arrêter. Le monde est vaste et difficile à reconnaître. Mes pas m'ont conduit plusieurs fois dans les forêts où les ombres semblent cruelles et sanguinaires. Cette fois, je suis dans une clairière et je trottine doucement sur la neige froide. Un vent froid se lève et secoue ma crinière noire. Les flocons me tombent dans les yeux et je souffle bruyamment des naseaux. C'est alors que je repère une lueur, droit devant, à quelques mètres. Croyant à un quelconque bipède, je tourne sur ma gauche et avance lentement dans l'ombre des arbres. J'entends alors un hennissement, puis un autre, des bruits de sabots sur une terre non couverte de neige. Ce n'est pas ma famille, impossible. J'aurai reconnu leur odeur.
J'entends le craquement d'une brindille derrière moi et dresse l'oreille en tournant la tête. Une corde vint alors entourer mon cou et je me cabre rapidement avec panique. Je martèle la neige de mes sabots avant de galoper vers la lumière qui se rapproche encore. Je croise alors une horde de chevaux sur le qui-vive. L'un d'eux, d'un blanc aussi pur que la neige, croise mon regard et observe la corde qui me serre le cou. Un poids la resserre encore jusqu'à ce que je comprenne qu'un humain y était solidement accroché à l'autre extrémité, hurlant de frayeur. J'arrête alors ma course un peu plus loin, après avoir traversé tout le clan de chevaux sauvages. L'étalon blanc que j'ai croisé s'avance vers moi et c'est alors que je comprends mon erreur de jugement : c'est une jument ! Elle s'arrête à côté de l'homme et le sent rapidement. A quoi joue t-elle ?
Elle marche vers moi en me fixant puis se stoppe et approche son museau de moi. Réticent, je recule. Elle le remarque mais ne s'arrête pas pour autant, venant alors mordre la corde qui m'entrave le cou jusqu'à la couper en deux. Secouant la tête pour retirer entièrement la corde, je joue des sabots sur la neige et observe l'homme qui se relève avec difficultés. Il n'est pas rassuré et recule de quelques pas en me fixant avec méfiance. Qu'est-ce qu'il croit ? Que je vais l'attaquer ?
La jument blanche passe devant moi et pousse un léger râle en direction de l'humain. Ce dernier pousse un soupir soulagé, croisant les mains comme s'il priait. Il recule encore, se retourne et grommelle un truc du genre :
« 'Sont malins, les ch'vaux sauvages. 'Patron va m'tuer. »
Je n'essaie pas de comprendre ce que ce langage veut dire. Je suis la jument des yeux. Cette dernière s'éloigne, suivit par le reste de la troupe. La lueur que j'avais aperçue plus tôt, d'où venait-elle ? Je vois alors qu'un feu de camps était allumé, un peu plus loin. La nuit est toujours aussi sombre et je ne distingue plus rien des chevaux sauvages. Bon sang. Je galope alors dans leur direction et les atteint enfin. Ce serait peut-être plus judicieux de les suivre. La jument blanche tourne l'oreille vers moi, m'observe du coin de l'œil et secoue sa crinière grisâtre. Pas mal, pour une jument.

Après tout ce temps passé avec ce groupe, j'en ai oublié ma priorité : retrouver mon clan. J'ai atteint l'âge de devenir le chef à la place de mon père. Adulte et vigoureux, je galope chaque jour autour de ce clan que je suis depuis deux années. La jument est compréhensive et me laisse faire. En fait, elle est à peine plus âgée que moi.
Mais il fallait à tout prix que je retrouve les miens. Ca faisait maintenant trop longtemps que j'ai vécu sans ma mère et les poulains avec qui je jouais. C'est pourquoi, alors que le groupe de la jument dormait sur la prairie verdoyante, je me suis approché doucement d'elle. Elle dresse les oreilles puis lève le museau vers moi pour me regarder. Je pousse alors un léger râle et gratte le sol du sabot.
Je dois partir.
Elle baisse les oreilles vers l'arrière, s'avance vers moi et passe sa tête dans ma crinière sombre. Nous avions appris à nous accepter et il y avait une fin à cette histoire. Je lui donne un coup de museau sur le cou et recule de quelques pas. Pendant un moment, je la fixe sans oser bouger. Finalement, elle baisse la tête et je pars au grand galop, loin d'elle, loin de cette prairie et de ces chevaux qui m'ont accepté comme l'un des leurs.

Après plusieurs heures, le soleil décline à l'horizon. Je n'ai pas vu la journée passer. Je hume l'air et crois rêver lorsque je sens l'odeur caractéristique de ma mère en train de paître non loin. Je hennis avec rage et victoire, poussé par une curieuse force naturelle, courant vers ce clan qui avait disparut trois années auparavant. Les membres de mon clan se dressent, me reconnaissent et m'acclament en se cabrant et en hennissant aussi bruyamment que moi. Ma mère galope vers moi, on se sent, on se heurte la tête... On se retrouve.
J'entends le puissant râle de mon père et tourne ma tête vers une petite colline. Il est là, fièrement dressé sur ses pattes, crinière agitée au vent. Content de l'avoir retrouvé, je galope vers lui et me tient à ses côtés, fixant la plaine et les chevaux en liberté.
Enfin...
Alors, doucement, mon père s'éloigne et rejoint ma mère en contrebas. Je reste seul sur cette petite place qui, désormais, sera la mienne jusqu'à ce que mon futur fils prenne la relève. Je repense à tout ce que j'ai traversé, aux dangers que j'ai affronté ; et à cette jument blanche qui n'a jamais cessé de croire en mes capacités de chef. Je me sens capable de tout, maintenant. Mon enfance a été brisée mais j'en ai gagné une fierté incomparable.
C'est alors que je sens une odeur suspecte. Alors que le vent me fouette les yeux, je hume en dressant les oreilles en tout sens. Je vois alors surgir des chevaux par là où je suis arrivé. La jument est là, galopant dans le vent, hennissant avec hargne pour prévenir du danger. J'entends alors le cri des humains prêts à recommencer une capture. Ils sont sur leurs chevaux, armes et corde à la main, comme la première fois que je les ai vu. Cette fois, ils étaient cinq.
Sans réfléchir, je bondis en avant, m'éloigne de la colline pour avancer vers eux farouchement. Je suis un adulte et un chef de clan, désormais ! La jument passe non loin de moi et me regarde pendant un instant. Je fonce vers l'un des cavaliers et heurte le flanc de son destrier à coup de tête. L'homme tombe et ne se relève pas. Un coup de feu retentit, un cheval hennit fortement. Ma mère tombe sur le côté, incapable de se relever. L'un des hommes s'approchent d'elle et je galope vers lui avec rapidité, l'envoyant valser avec son cheval. La jument blanche tient tête à un autre homme après l'avoir fait tomber de son cheval, et tente de le piétiner sous ses sabots. Ma mère agonise lentement mais sûrement... Mon père, fier et toujours d'aplombs attaque aussi les humains pour protéger notre clan. En fait, l'horreur est là. D'autres coups de feu retentissent, d'autres chevaux tombent et je remarque alors le cinquième cavalier sur la colline. Je contourne rapidement la prairie, galope sur les cailloux puis me lance dans les hautes herbes. De là, j'avance avec précaution, essayant de ne pas me soucier de nouveaux coups de feu, jaugeant plutôt la situation et à savoir où cet humain se trouvait. Là, à quelques mètres devant moi, son cheval est attaché à un arbre. Je sors de ma cachette et fixe l'homme qui se tourne alors vers moi en pointant son arme et je saute en entendant le coup de feu. L'humain se retrouve coincé sous mon poids alors qu'on dévale la petite colline ensemble. Je sens une horrible douleur au niveau de mon ventre et la chute s'arrête enfin. L'homme gémit, se redresse difficilement et me regarde. Je souffle des naseaux, je tente de me relever mais retombe mollement sur le côté. L'odeur du sang couvre les odeurs de la nature. Je vois mon père s'approcher, accompagné de la jument blanche et de quelques autres chevaux. Enervé, papa mord l'air non loin de la tête de l'humain qui se lève et court sans trop savoir où aller, suivit par deux chevaux du clan. Je me sens engourdi mais je suis fier de moi une fois de plus. Je n'ai pas pu sauver tout le monde mais j'ai pu éloigner les humains pour un temps. Je tente une nouvelle fois de me lever mais la douleur est trop flagrante et je gémis en laissant la tête tomber sur l'herbe.
Papa. Je suis si fier d'être ton fils.
Mon père semble partagé entre la fureur et la tristesse. J'en ai certainement trop fait. Je sens alors la jument s'allonger derrière moi et je lève un peu la tête pour tenter de la voir. Elle fait en sorte de placer ses pattes avant sous ma tête. Ma position est un peu plus confortable. Le froid m'envahit doucement alors que le soleil tape. Maman a rendu son dernier soupir et certains chevaux de la horde allaient et venaient en essayant de chercher des survivants. Finalement, je me sens triste. J'ai voulu retrouver ma mère pendant si longtemps, et voilà comment ça se termine. La jument blanche passe son museau dans ma crinière, mon père baisse les oreilles. Je comprends alors l'ampleur des dégâts et me prépare à rejoindre ma mère, quelque part au-delà de ces montagnes.

Les humains pensent toujours avoir raison et se disent que les animaux n'ont aucun sentiment. Tout comme eux, nous essayons de protéger notre progéniture, notre famille. Ils nous arrachent pourtant les êtres qui nous sont chers, comme s'ils se vengeaient d'une chose que nous n'aurions pas commise. Notre liberté n'a jamais rien eu à voir avec eux, pourtant ils nous l'enlèvent de plus en plus. Papa m'a toujours dit de me méfier. Et même si j'étais sceptique, j'aurai voulu leur laisser une chance. C'est en s'entraidant qu'on devient plus fort. Pourtant, ils ont préféré nous tuer.
Avec la bravoure de mon père, j'ai essayé de sauver une partie du clan. Je sais pourtant que les humains reviendront et que les chevaux sauvages disparaîtront un jour. Cependant, il faudra inscrire ça dans leur cerveau de bipède débile que nous avons tout autant de sentiments qu'eux ! Sinon, nous ne risquerions pas notre vie pour sauver nos compagnons.
J'aime à penser qu'un jour, les massacres finiront. Et c'est en rendant mon dernier soupir que je souhaite, du plus profond de mon être, que les humains ouvrent enfin leur cœur à la nature.

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