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~Antre de Riku-san~

Samedi 24 avril 2010 à 19:24

Titre : Sida
Date de création : 24 août 2009
Genre : Triste - Sentiment de désespoir
Note personnelle : En fait, le titre devrait comporter la mention "en cours" hors, en le relisant, j'ai bien l'impression que je ne peux rien apporter de plus. Alors plutôt que de modifier les choses, je le laisse en version originale.

Me voici là, assis devant toi, à repenser à tous ces moments qui nous ont été volés. Mes genoux frôlent le marbre froid de ta tombe alors que je laisse le bout de mes doigts toucher la seule photographie de toi exposée entre les vases aux fleurs bientôt fanées. Mon visage ne trahit aucune émotion et pourtant, tout au fond de moi, quelque chose s'est brisée. J'ai du mal à avaler ma salive, j'ai mal aux yeux, mais je reste aussi sceptique qu'un mec qui apprend qu'il va mourir –comme toi, il n'y a pas si longtemps.
Il y a encore deux semaines, nous jouions comme des cons au terrain de jeux qui a bercé notre enfance. On a grandi ensemble, on a découvert l'amour ensemble. Nous nous comprenions plus que quiconque.
Je me souviens de ta première copine.
Je me souviens de ton premier vélo.
Je me souviens de tes mains lorsque je m'étais cassé la gueule du toboggan.
N'importe quel moment, je m'en souviens comme si c'était hier. Il a fallu que tu me laisses dans le monde des vivants pour que je vois défiler nos souvenirs communs aussi rapidement qu'un DVD en accéléré. Et alors que je fixe mon regard sur ton visage inerte et souriant, un sanglot s'échappe de ma bouche. Je n'ai pas voulu assister aux funérailles, par craintes d'avoir des représailles. Cependant, je le regrette amèrement. La dernière fois que je t'ai réellement regardé, tu étais sur ton lit d'hôpital...
C'est à cause de moi que tu es mort, et je m'en excuse encore. J'ai pleuré des nuits entières lorsque j'ai appris par inadvertance ce qui t'arrivait. Ma mère en parlait avec la tienne. Ca m'a rendu malade. J'ai vomi tout mon repas, refusé de manger durant des jours... et je suis allé te voir au dernier instant de ta vie.
Quel con j'ai été. Tout ça par rancune. Parce que tu aimais sincèrement ta nouvelle copine, j'ai ressenti une profonde jalousie et une détresse sans précédent, ce qui a provoqué ma perte de contrôle... Et je t'ai violé tout en sachant ce que j'avais.
On a vingt ans. Déjà cinq ans que t'es au courant de ce que mon père m'a fait subir et de ce qu'il m'a légué à l'intérieur –cette maladie irréversible qui me bouffe chaque jour un peu plus. Je te l'ai transmise à mon tour, sans l'avoir voulu, juste sous le coup d'une poussée de possessivité. Quel con... Tu as vécu deux années avec ce virus en toi et tu es mort avant moi... Tu ne m'en as jamais voulu de t'avoir fait subir ça et jamais tu ne m'as avoué que tu étais contaminé. Les jours et les mois passaient sans que tu ne m'en parles. On passait le plus clair de notre temps à faire les cons ; à aller boire un verre au bistrot du coin, à fumer des clopes totalement dégueulasses, à s'installer devant l'unique jeu de rallye avec volant et pédales. Nous avions terminés les cours et nous n'avions même pas envie de trouver un job.
Putain, Mike...
Il fallait que la grippe tombe sur toi pour que tes défenses immunitaires cessent d'opérer et que le Sida prenne de l'ampleur dans tes veines. Du jour au lendemain, hôpital - soins intensifs - morgue. Et moi je traîne ce virus depuis des années... En deux années à l'avoir en toi, t'as succombé plus rapidement que moi. Je suis affreusement dégoûté.
Là, devant ta tombe, je cherche à me faire pardonner sans même savoir ce que tu as pensé durant ces deux ans. La douleur au fond de moi est tellement forte que je ne ressens pratiquement rien ; juste un grand vide dans l'esprit. Le noir entoure mes plus heureux souvenirs et le passé m'échappe complètement. Notre vie a cessé de défiler devant mes yeux et je demeure inlassablement indifférent devant ton portrait. Bien des gens meurent tous les jours, dans notre stupide monde. Et il a fallu que la Faucheuse vienne te prendre à moi, égoïste que je suis.
J'entends un aboiement pas très loin. En dehors du cimetière, un gamin promène son Jack Russel. Irrémédiablement, ça me fait penser à toi. Tu te souviens, quand tu m'as montré Tommy pour la première fois ? Tes parents t'avaient offert ce magnifique Labrador noir à tes sept ans. Tu étais fou de joie. Tellement fou que tu es sorti en tee-shirt dans le froid de décembre pour venir me le montrer.
Mes yeux fixent ce gamin et son petit chien jusqu'à ce que ces derniers disparaissent au coin d'une rue. J'ai mal. Affreusement mal. Le fait de voir ce gosse me tourner le dos alors que ce n'est même pas toi me rend véritablement amer. C'est alors que je ressens toute la pression retomber d'un coup. Je me sens faible, mortifié. Et je me laisse enfin aller à des pleurs retenus durant tant d'heures. La fatigue me submerge, m'enveloppe, mais je pleure encore et encore. Je colle bientôt mon front au marbre froid et mes larmes s'écoulent entre les microfissures.

Samedi 24 avril 2010 à 19:25

Titre : Tu ne pourras plus jamais marcher.
Date de création : 9 avril 2010
Genre : Triste - un peu psycho'
Note de l'auteur : Tout nouveau, tout frais et passablement nul. Mais je vous l'offre quand même. Pour une fois qu'il n'y a pas de mort.

Le vent siffle à mes oreilles. Ca me donne mal au crâne. Je ne pourrais pas dire pourquoi je suis dehors par ce temps et pourtant, j'suis là à me balader comme un pauvre con sur le chemin en terre, assis sur mon fauteuil roulant qui fait désormais parti de moi. Vous me prenez en pitié ? Arrêtez tout de suite ! Je n'ai pas besoin qu'on me regarde d'un air drôle alors que j'ai juste envie qu'on me laisse tranquille. D'ailleurs, vous savez quoi ? J'ai horreur qu'on me regarde. Bien avant que m'arrive cet accident débile, j'en avais déjà horreur.
J'suis un blondinet de quatorze ans, peau très pâle –pigmentation fragile. Depuis ma naissance, m'exposer au soleil est un risque. C'est pour ça que la plupart du temps, je sors par temps maussade ou la nuit. Aujourd'hui, il fait presque nuit. Et le vent souffle comme jamais. Vous savez, le genre de tempête qu'on voit une fois tous les dix ans en France. Mes piercings me renvoient des sifflements aigus et j'ai peine à rester stoïque. Ca fait mal aux tympans, bordel ! Et donc, poussant par la force de mes bras ces maudites roues de mon fauteuil, j'observe le ciel sombre. Quelques étoiles apparaissent entre les nuages gris et la Pleine Lune joue à cache-cache. Je porte un vieux pull en laine que ma mère avait tricoté pour mes huit ans. Il est toujours aussi grand mais il tient chaud. Mes jambes sont nues, n'ayant pas pris le temps de mettre un pantalon je suis sorti en short –l'appel de l'extérieur, peut-être. Avant, j'avais moi-même un regard de dégoût en voyant mes jambes devenir toutes maigres depuis mon accident. J'en ai perdu l'usage alors je ne pouvais plus faire de sport comme quelqu'un de normal. Impossible de marcher, impossible de courir. Maintenant, je regarde mes cuisses d'un œil indifférent. J'étais fautif, j'en ai payé le prix...
Remontons à l'époque de cet accident, si vous voulez comprendre.
C'était il y a trois ans. Ouais, j'avais onze ans. Du moins, presque. Et comme tout jeune du quartier, je voulais impressionner les environs. Je fumais depuis plus d'un an, je volais l'argent de mes parents ; tous ces petits trucs que n'importe quel con connaît dans les quartiers pourris parce que c'est tout ce qu'on sait faire. Et un jour, j'ai piqué un scooter. Magnifique bécane, d'ailleurs. Elle était rouge pétante avec des flammes blanches, donc assez visible pour qu'on la remarque. A croire que c'était fait exprès. Le propriétaire y avait laissé les clés alors qu'il retirait du pognon au distributeur. En moins de deux minutes, j'lui avais piqué son engin et j'étais parti vers mon bloc, là où je vivais en appart' avec mes parents. Arrivé au parking, mes potes sont venus vers moi en extase, ravis et éberlués de me voir sur ce tas de ferrailles aux couleurs vives. J'vous le dis : j'ai frimé à mort ! Et c'était peu dire.
J'ai pris l'un de mes voisins à l'arrière et on a sillonné le quartier de long en large comme des dératés, jouant sur l'accélérateur pour impressionner qui que ce soit qui passerait par là. Mais la virée s'était vite écourtée puisqu'à une intersection, j'ai grillé la priorité à une bagnole cabossée et j'me la suis prise de plein fouet sur le côté. Mon pote a valsé et moi, j'me suis retrouvé coincer sous le scooter : plus de sensations dans les jambes.
Résultat des courses : j'suis handicapé à vie, j'ai eu un traumatisme crânien, j'ai vu mon pote crever à quelques mètres de moi et j'ai blessé une gamine de deux ans qui se trouvait dans la voiture.
Vous l'dis, j'étais complètement con. Et maintenant, j'revis cet enfer dès que je ferme les yeux. J'en suis presque devenu insomniaque. A quatorze ans, on peut être débile. Comme à tous les âges, en fait. Mais c'était la goutte d'eau, j'crois. J'l'ai cherché. Plutôt que d'me la péter, j'aurai dû continuer mes études et devenir un type bien. Ou alors rentrer dans les rangs de l'armée pour me forger mon propre caractère plutôt que de copier celui des autres. Me regardez pas comme si j'étais un monstre. Mon seul regard dans le miroir tous les matins me suffit amplement.
Je suis là, sur le chemin en terre, à observer le ciel sombre. Une mouche vient m'emmerder en tournoyant autour de ma tête plusieurs fois et je tente de la virer à grand renfort de gestuels. Les roues de mon fauteuil se mettent à grincer et j'arrête ma piètre danse pour revenir au sujet de ma venue ici. Je ne sais toujours pas pourquoi je suis sorti. La météo avait annoncé une alerte rouge sur la région et moi, triple imbécile doublé d'un jeune con, je suis là en train de m'extasier sous les nuages gris à essayer de me pardonner encore une fois mon insouciance et ma fébrilité de l'époque. Derrière moi, la maison est calme. Mes parents ont déjà éteint la lumière de leur chambre alors qu'il n'est même pas vingt-et-une heures. Ils ont été présents pour me soutenir et ont toujours pris ma défense. Ils disaient à tous que c'était mon entourage qui m'avait donné cette idée saugrenue de voler un scooter et de jouer avec, que c'était parce que je traînais avec des « racailles » que j'me suis montré aussi con. Ouais. Bah non. J'étais tout à fait conscient de l'erreur que j'commettais. On en fait tous dans notre vie. J'essayais de faire en sorte qu'on me regarde, même si j'détestais ça. J'suis vraiment quelqu'un de contradictoire. Et ça n'empêche pas mes parents de vouloir retirer la charge qui pèse sur mes épaules. Mais cette charge, elle est là et elle ne partira plus jamais. Je grandirai avec et je mourrais avec. J'ai vu mon pote crever en me regardant d'un air accusateur et ça m'a suffit.
Je pose mes mains froides sur mes cuisses maigres et jette un coup d'œil sur le chemin caillouteux. Vous ne savez pas à quel point j'aimerai à nouveau marcher. Vous, vous voulez une superbe bagnole, partir à Miami ou vous taper toutes les nanas en bikini qui passeraient devant vous à la plage ? Moi, j'ai juste envie de marcher. Marcher et sentir à nouveau toutes les sensations que j'ai maintenant oublié ; le vent sur ma peau, le froid du carrelage, la douleur des gravillons, toutes ces choses qui sont si insignifiantes pour vous.
J'ai quatorze ans, j'suis con mais j'ai ouvert les yeux sur beaucoup de choses. Ce serait trop long à énumérer mais mon accident m'a permis d'ouvrir une nouvelle porte sur mon existence. A l'époque, je ne voyais aucune échappatoire au Quartier. Depuis, on m'a offert une nouvelle chance. Même si je suis handicapé à vie, je suis désormais entourée de prés et de forêts, nous vivons dans une grande maison équipée spécialement pour moi, nous avons un chien qui passe son temps à dormir ou à aboyer et j'ai même une petite sœur. J'ai l'air d'être triste ou perdue ? Ce n'est pas parce que je suis fatalement stoïque aux choses que je ne ressens que du négatif. Derrière moi les erreurs et les mauvais jours, derrière moi les conneries des jeunes de mon âge.
Derrière moi drogues, vols et Quartier.
Ici, l'air est frais, loin de sentir le vice. Tout est naturel, tout est merveilleux. J'explore de nouveaux horizons, j'arrive à respirer sans me tordre les côtes sous l'odeur des pots d'échappement ou des cigarettes Ducal complètement dégueulasses. Ici, je vis au jour le jour, observant les animaux furtifs et les arbres frissonner sous le vent. Le soleil est différent, tout comme la Lune et le ciel en général. On voit les choses sous un autre angle.
Mais mon envie de marcher s'agrandit. Plus je vois ces herbes folles se balancer au gré du vent, plus j'ai envie de marcher à même le sol et de sentir la fraîcheur que cela m'inspire. Et même si j'sais que c'est impossible, j'ai quand même envie d'essayer. Ouais, il est tôt et la tempête annoncée approche. Je prends pourtant le risque. Et je m'empare de ma cuisse avec force, serrant les doigts dessus pour soulever ma jambe. Je fais pareil avec l'autre, joignant les pieds sur le sol alors que je ne sens rien. Je me hisse par la force de mes bras sur le fauteuil pour me lever, un coup de bassin pour vivement me redresser et... je chute vers l'avant pour me retrouver le visage dans la terre.
Génial.
J'pensais à quoi, au fait ? A un miracle ? N'importe quoi. Mais mes mains touchent l'herbe fraîche et je me redresse avec difficulté pour voir ça de plus près. Mes jambes sont tendues et je ne sens rien du tout, pas même cette foutue mouche qui se pose sur mon tibia tout fin. Je lève mes yeux vers le ciel sombre, vers la Pleine Lune qui disparaît à nouveau derrière les nuages, et je serre la mâchoire. Expirant avec exaspération, j'me laisse tomber sur le dos avec fatalité et ferme les paupières. Au loin, j'entends un coup de tonnerre et le bruit m'envahit les oreilles pendant un instant. J'en avais oublié que le sifflement incessant du vent s'était calmé depuis que j'étais tombé.
J'ai l'air con, le visage plein de terre. J'm'en fous. J'ai décidé de rester là pour la nuit. De toute façon, j'pourrais pas me relever sans aide puisque mon fauteuil n'a même pas un cran de sécurité pour qu'il reste en place le temps que je m'y réinstalle. Alors je soupire maintes et maintes fois, gardant les yeux fermés et écoutant simplement l'orage qui se rapproche alors que le froid passe à travers mon vieux pull en laine. Vous croyez que j'ai envie de mourir ? Bah tiens, ce serait marrant. Avoir attendu tout ce temps pour mettre fin à mon existence ? Ce serait stupide, nan ? Vous me prenez pour un con ou un suicidaire ? Arrêtez donc. Déjà, y a que moi qui aie le droit de me traiter de con. Et suicidaire, j'en suis pas un. J'suis juste quelqu'un de bloquer envers les gens, maintenant. Je n'ai pas envie de me faire d'amis, je n'ai aucun geste affectueux envers ma petite sœur et je ne cause même plus avec mes parents. J'ai l'impression d'être une statue mobile et j'crois même que c'est le cas. J'suis très bien tout seul.
Et alors que j'entends vaguement ma mère m'appeler sur le perron sans voir mon fauteuil roulant dans la nuit, j'me met à chialer comme un gosse, couvert de terre et d'herbe, les bras sur le visage et la mâchoire serrée.
Je ne marcherai plus jamais.

Samedi 24 avril 2010 à 19:26

Titre : Le Beau et le Monstre.
Date de création : 13 avril 2010
Genre : Conte d'adolescence


Voilà que j'croise deux clochards d'une vingtaine d'années en train de baiser. La nana trop maquillée me fixe de ses yeux aussi luisants que ceux d'un chat. L'autre con, au-dessus d'elle, lui donne de violents coups de reins. Son bide rond joue de sa graisse dans un bruit de succion.
Ecoeurant.
Je n'ai jamais eu de vacances idylliques. Je vois toujours des trucs à faire gerber. A croire que je n'ai pas de chance.
Je passe donc mon chemin, un goût glauque en bouche, et je marche le long des murs. Personne ne fait attention à moi, personne ne me voit ; personne ne me touche. Je me fonds dans le décor. Depuis longtemps maintenant, je suis quelqu'un qui erre sans but précis –une âme en plein désespoir. A moins que je n'ai pas d'âme ? Je n'en sais rien. Je viens d'un Autre Monde. Le genre de monde qui vous fait peur dans vos cauchemars les plus sombres.
Autour de moi, les bruits me laissent indifférents. J'observe, je guète. Mais jamais ne m'implique.
J'ai oublié ce que c'était que d'être avec quelqu'un, d'être aimé, d'avoir une conversation. J'ai tout simplement oublié ce que c'était qu'une relation sociale.
Je suis un Monstre.

J'entre dans un bar. Derrière le comptoir, le barman au nœud papillon à la gorge ne daigne même pas lever les yeux des verres qu'il essuie et me lance simplement « Qu'est-c'que j'vous sers ? ». Indifférent, silencieux, le visage caché dans la pénombre qu'offrent mes cheveux mi-longs noirs, je tourne mon regard vers la carte scotchée sur le bar et y pose un doigt à la peau pâle. Doucement, je descend mon index le long de la liste des boissons puis m'arrête sur un choix irréel et sans importance « Vodka ».
Le barman prend tout son temps pour me servir. Pendant ces minutes, je m'installe sur une des hautes chaises et observe, entre mes cheveux raides, les quelques personnes présentes en cette fin de journée. Le bistrot est un peu vide mais certains habitués grommelaient entre eux et tapaient des poings alors qu'ils regardaient les résultats du PMU.
Décevant.
Exaspérant.
Affligeant.

Je tourne le dos à la salle. Ma veste en cuir me colle à la peau mais je l'ignore, levant mon verre en portant un toast silencieux à ma Solitude, puis je bois une gorgée de Vodka pure. Mon gosier le ressent mais j'ai pris l'habitude de boire au moins un verre d'alcool chaque jour. Au début, je m'en souviens, je toussais à n'en plus sentir mes amygdales et j'en avais les larmes aux yeux. Maintenant, ces liquides grossiers me coulaient dans la gorge comme une lettre qu'on glisse à la Poste.
Derrière moi, la porte du bar s'ouvre. Je sens le courant d'air frais me chatouiller la nuque pour le peu que mes cheveux le laisse passer. J'entends des rires fracassants, des voix tonitruantes et des commentaires plaintifs. Des filles parlaient, survoltées, des mecs renchérissaient en riant avec animosité.
Une belle brochette de lycéens débiles.
Pas la peine de me retourner pour en être certain.

Je les entends tous s'installer dans un coin de la salle et un type décide de commander pour tout le monde. Ses pas écrasent le parquet alors que je l'écoute s'approcher. Des frissons d'horreur me parcourent le dos alors qu'il passe derrière moi et je grogne silencieusement en serrant les dents. Je ne supporte pas qu'on passe derrière moi ! Un humain, qui plus est –être rachitique et égoïste.
« Cinq Coca et quatre bières Pression, s'il vous plait. »
Le barman marmonne une réponse et prépare la commande à son rythme d'escargot.
Dépêches toi, connard, que ce type se barre et me laisse seul à ce foutu comptoir !
Pris d'une soudaine curiosité –allez savoir pourquoi-, je jette un coup d'œil sur le côté, gardant toujours mon visage dans l'ombre. C'est alors que je tombe nez à nez avec deux yeux vert émeraude qui me fixent avec une certaine gaieté. Surpris, je détourne la tête et boit une nouvelle gorgée de Vodka.
« Mais que vois-je ? » entendis-je. « Ne serait-ce pas le GPDLC ? »
J'avale difficilement ma salive. Ce surnom me poursuit depuis belle lurette et je n'arrive toujours pas à l'encaisser. Gothique Psychopathe De La Classe. Bande de pourritures. A côté de moi, c'est cet enfoiré de Mac O'Leary, le sportif de la classe. Moi qui pensais être tranquille en ce premier jour de vacances. Je suis une ombre, une silhouette indistincte de la race humaine. On ne me remarque jamais alors pourquoi ce type vient me faire chier, maintenant ?! D'ailleurs, il ne m'a jamais adressé la parole jusqu'à présent. Et je lui en foutrai, moi, des GPDLC ! C'était son coach, son prof' de sport, qui m'avait surnommé ainsi. Les adultes sont tout aussi cons que les ado'.
Je trouve ça déplorable.
Détestable.
D'autres types avant moi s'étaient donnés la Mort parce qu'ils en avaient assez d'être le souffre-douleur des gens.
Moi, j'ai les couilles de rester en Vie. Je sais que ça fait chier le monde. Et je sais aussi que je ne vaux rien. Je suis un Monstre qui passe inaperçu, qui marche sur les trottoirs comme une âme en peine, habillé de noir et le visage caché sous des cheveux de jais.
L'Oréal, parce que je le vaux pas.
« Qu'est-ce que tu fais dans ce trou, GPDLC ? Tu t'es perdu ? T'as décidé de te bourrer la gueule avant de sauter dans le vide ? »
Ca te plairait, hein, que je finisse par m'écraser sur la voie ferrée. Connard.
Je l'ignore. J'entends quelqu'un qui se lève et sent la personne approcher –sorte de sixième sens qui s'est développé à force d'être seul.
« C'est qu'il est toujours aussi sombre, notre GPDLC » rigole alors la connasse qui a osé m'approcher et poser sa main sur mon dos.
J'ai horreur qu'on me touche et j'ai un mouvement de recul. Mais ce fut une erreur de ma part puisque ce geste brusque me fit défaut : ma chaise haute tangue et voilà que je me retrouve les quatre fers en l'air, le visage à portée des regards les plus indiscrets. Mes yeux croisent le regard surpris d'O'Leary et j'en ressens un vague sentiment d'abandon. Mon cœur est lourd, mon sang ne fait qu'un tour.
Qu'est-c'que je fous là ?
Pendant plusieurs secondes, j'étais sourd à tout ce qui m'entourait. Tout ce que j'avais face à moi était le regard étonné de cet enfoiré. Finalement, j'entends les éclats de rire partout dans la salle. Même le barman avait passé sa tête au-dessus du comptoir pour me fixer d'un air ironique.
Putain de solitude.
Je me redresse vivement, ne prends même pas la peine de payer ma consommation, et sort rapidement du bistrot. Une fois dehors, je prends une énorme inspiration à m'en donner mal au crâne. Je sens ma narine droite se boucher et j'expire par le nez avec force. Un filet de morve coule alors et j'y passe la manche de ma veste sans m'en rendre compte. Ma vue est brouillée et je mets bien cinq minutes avant de m'en rendre compte, planté devant la porte de cet Antre Maudit. Je m'affole en m'apercevant que j'étais en train de chialer comme une gonzesse et je me mets à courir au hasard, chassant les dernières images qui ont fait de moi la risée du seul bar que je fréquentais.
Quand je reprends mes esprits, mes pas m'avaient conduit sur le Pont de la Mort –surnommé ainsi car beaucoup d'ado' comme moi se sont jetés sur les rails en contrebas. Je renifle furieusement pour chasser les dernières larmes qui obstruaient ma vision et m'approche de la rambarde de sécurité. Derrière moi, la circulation de ce début de vacances était plutôt fluide et personne ne faisait attention à moi. Quelques piétons marchaient rapidement vers leur domicile pour rentrer avant la nuit. Le ciel s'assombrissait à vue d'œil mais j'ai décidé, pour une fois, d'ignorer le temps.
Je pose mes mains sur la rambarde et me penche en avant pour observer les rails. Je me demande combien de mètres il y a entre ces deux points stratégiques de Vie et de Mort. Bizarrement, à force de fixer les rails, j'ai l'impression de voir du sang de là d'où je suis. Je sais que c'est impossible, que c'est un effet d'optique et que les pluies incessantes de ces dernières semaines ont déjà effacé toute trace de suicide. Pourtant, c'est une image réaliste et fidèle qui m'attire.
Je ne bouge pas.
Je ferme les yeux.
Je sens le vent sur mon visage.
Mes cheveux sont emmêlés.
Je n'entends rien...

« JOSH ! »
...Quoique.
J'ouvre les paupières.
Pendant un instant, je ressens du vide. Le genre de vide que l'on a quand on a épuisé toutes ses forces. Le genre de vide qui nous prend et qu'on se croit alors indifférent à tout. Mon regard reste planté sur les rails de l'Enfer. Je n'ai jamais eu, jusqu'à présent, le vertige. Mais plus je regardais en bas, plus j'avais envie de sauter. C'était une force surnaturelle, exaltante et terrifiante. Je me voyais déjà m'écraser là en bas, déversant mes boyaux un peu partout. Mon sang aurait giclé tellement fort que, peut-être, j'aurai fait déraillé le prochain train à passer par là.
Quel con.
Plus aucun train ne passait par là depuis des années.
La voie ferrée était fermée et laisser à l'abandon.
« JOSH ! »
Serait-ce un tour du vent ou est-ce vraiment mon prénom que j'entends ? Mes parents sont les derniers à prononcer encore mon identité. Tout le reste du monde me surnomme GPDLC. Je n'ai aucun ami. Les voisins me détestent. Je me traite de Monstre pour me convaincre qu'ils ont tous raison. Je ne suis pas Gothique, je ne suis pas Psychopathe.
Je suis un Monstre.
Je soupire d'exaspération et tourne le dos au Vide. Je m'adosse à la rambarde et lève les yeux au ciel sombre. Les lampadaires de la route viennent de s'allumer et quelques voitures passent encore par là pour rentrer du boulot. Je n'ai jamais aimé ce monde. Je me suis toujours senti Différent. C'est ce qui a fait ma force, mais aussi ma faiblesse. Je n'aime personne, personne ne m'aime.
Je suis dégoûtant.
Je suis un Monstre.

Mes mains sont gelées, posées sur la rambarde. Je bouge un peu les doigts mais sens toujours plus le vent qui s'affole sur ma peau. Je ferai mieux de rentrer. D'oublier cette galère et de me remettre à ma philosophie « demain est un autre jour ». Même si je suis seul, je n'ai pas envie de mourir. Alors pourquoi je resterai ici ?
Je m'écarte du bord et marche sur le trottoir, la tête baissée. Je suis encore le seul con à errer à pieds.
« JOSH ! »
Cette fois, c'est bien distinct. Je m'arrête et guette encore mon prénom dans la pénombre. J'ai quitté le pont et les lampadaires les plus proches sont à quelques mètres devant moi. Pourtant, je n'ai aucun mal à voir. Je lève les yeux, regarde à droite et à gauche.
Rien.
Je fronce les sourcils.
Puis je me retourne.
« Mac ?... »
A cinq mètres à peine de moi, le Leader sportif de la classe me fixe. Son souffle est court et il créé de la fumée avec sa bouche. Nous sommes fin de l'hiver et il fait encore un peu frisquet le soir. De la sueur ruisselle le long de son visage. Même de là où je suis, je le vois. Mais le plus surprenant encore c'est sa bouche.
Ses lèvres sourient.
ME sourient.

Je ne comprends pas. Pendant un instant, j'imagine qu'il regarde quelqu'un d'autre et je jette un coup d'œil derrière moi.
Personne.
« Josh. »
Je l'entends m'appeler par mon prénom. Il s'approche de moi d'un pas fatigué sans cesser de sourire. Une fois devant moi, il me tend quelque chose.
« Tu as oublié ça. »
Mon portefeuille.
Je le lui arrache des mains et le fourre dans la poche arrière de mon jean noir. Je ne le regarde pas, lui fait simplement un signe de tête sans prononcer le moindre mot puis lui tourne le dos pour reprendre ma marche.
Pour être franc, je ne suis pas si indifférent. Physiquement, porter un masque est facile. Mais mon cœur, lui, tambourine et risque à tout moment de sortir de ma poitrine. Pourquoi ce type s'était donné la peine de courir me retrouver pour me rendre mon portefeuille ? N'aurait-il pas pu le jeter dans une poubelle, comme n'importe qui l'aurait fait à sa place ? Cela me désoriente.
J'en ai assez de réfléchir.
Et alors que j'arrive devant le portail de chez moi, je sens des frissons dans mon dos –le genre de frissons douloureux mais magiques quand quelqu'un vous passe le bout des doigts le long de la colonne. C'est bien la première fois que j'ai cette impression et je me retourne alors. A deux mètres, O'Leary est là.
Et me sourit.
« Je voulais être sûr que tu rentres bien. »
Après ma demi seconde d'étonnement, je fronce les sourcils. Et j'ose ouvrir la bouche pour la première fois depuis... trop longtemps :
« Pourquoi ? »
Ma voix est rocailleuse, sèche et sans émotion. Je l'entends et je revois cette image nette d'un corps sans vie sur les rails, les entrailles déchirées et le sang coagulant un peu partout. Mais cette vision disparaît très vite lorsque Mac O'Leary reprend la parole.
« Je voulais m'excuser mais tu ne m'en a pas laissé le temps. »
Une conversation était née avant même que je m'en aperçoive. J'ouvre mon portail, entre dans la cour et referme derrière moi. Ce portail est très petit, cela va s'en dire, puisqu'il m'arrive au bassin. J'ai déjà dit à mon père, il y a quelques années, que ça servait à rien.
« T'excuser de quoi ? De m'avoir appelé GPDLC ? De m'avoir poursuivit pour me rendre mon portefeuille ?
_ Non.
_ Je n'ai pas besoin de tes excuses.
_ Je crois que si.
_ Et qu'est-ce qui te fait croire ça ? »

Cette fois, je le fixe dans les yeux. Le portail nous sépare et je pense que c'est cette barrière qui me donne la force de l'affronter. Autrement, je lui aurai déjà tourné le dos pour rentrer. Il s'approche, lève le bras. Ses doigts tout froids me frôlent la joue avant qu'il ne fourre sa main dans la poche de son pantalon pour reprendre la discussion :
« Je m'excuse de t'avoir fait pleurer. »
Surpris, j'écarquille les yeux. Et avant même que je ne m'en rende compte, je me mets à geindre comme un gosse. Face à moi, Mac souriait toujours. Et même si le portail nous séparait, il s'approche un peu plus et passe ses bras autour de moi pour me serrer contre son cœur. Cette sensation est nouvelle, bizarre... et devient une drogue. Mon besoin d'affection se réveille et je m'accroche à lui comme à une bouée de sauvetage.
Derrière moi, la porte de la maison s'ouvre et j'entends mes parents parler entre eux.
Mac se recule un peu, efface mes larmes d'un coup de pouce et colle son front au mien. Son sourire est franc, adorable. Une fossette minuscule s'est creusée au coin de sa bouche. Pris d'un élan stupide, je touche ce creux du bout de l'index puis vint y poser un baiser. Cela ne déstabilise pas ce Sportif connu pour être le Bourreau des Cœurs.
Moi, je me sens con et je recule vivement de deux pas. Je le fixe comme si je voyais un fantôme, terrifié à l'idée d'être devenu sa prochaine victime. Mais O'Leary n'abandonne pas son tact et ose secouer le bras en l'air pour saluer mes parents –qui le lui rendent bien, d'ailleurs.
« On se reverra à la rentrée, Josh. Attends moi. »
Avant même que mon cerveau enregistre l'information, Mac s'en alla et disparut au coin de la rue.
Je me suis mis à trembler de tous mes membres et me suis effondré là, derrière le portail, les yeux exorbités et un filet de bave le long du menton. D'après mes parents, lorsqu'ils sont venus me chercher et m'aider, j'avais un sourire niais sur le visage... mais je ne les ai jamais cru.

________________________

Deux semaines plus tard.
Ma vie n'a pas changé. Je n'ai pas revu Mac depuis cette fameuse soirée et c'est tant mieux. Même maintenant, je ne suis toujours pas prêt à l'affronter, ne sachant pas à quoi m'en tenir. Aujourd'hui, le ciel est bleu, le soleil brille un peu trop à mon goût. Comme d'habitude, je suis vêtu de noir, ce qui ne m'aide pas sous les rayons de chaleur. J'entre dans la cour du lycée et me plante sous le saule. Je m'adosse au tronc et observe les alentours. Tout le monde est content de se retrouver, tout le monde sourit –même ceux qui détestent les cours. Toujours seul, je jette un regard entre les feuillages. Au-dessus de moi, un écureuil grignote une noisette trouvée certainement non loin. J'esquisse un léger sourire.
Puis repose mes yeux sur la cour et ses occupants.
Mac est arrivé, accompagné de tout son groupe.
C'est celui qu'on remarque le plus dans la bande. Il est plus grand, plus robuste... et nettement plus beau.
Je soupire.
Je ne suis qu'un Monstre, après tout.

Il cherche quelque chose, on dirait. Et je suppose que ce n'est pas moi. Pourtant, lorsque son regard se pose sur moi, il esquisse un énorme sourire et se met à marcher dans ma direction. Une fille lui attrape le bras.
« Où tu vas ?
_ Rejoindre ma Vie. »

Et il se dégage pour s'approcher toujours plus de moi. Derrière lui, tous ses copains le suivent du regard. Je suis mal à l'aise, je sens mes mains trembler et des gouttes de sueur couler le long de mon dos. Une fois devant moi, il n'attendit pas deux secondes que ses mains s'emparent alors des miennes.
J'entends les « Ooooh » et des « Hein ?! » un peu partout. Puis, plus rien. Mac vient de m'embrasser le front.
Allez savoir pourquoi, aujourd'hui j'avais décidé de laisser mes cheveux en arrière.
« Bonjour, Josh. »
Je penche la tête sur le côté comme un chien qui n'aurait rien compris et ne cesse de le fixer avec étonnement. Mac rit légèrement.
« Arrêtes de faire cette tête. »
Je me reprends un peu.
« Quelle tête veux-tu que je fasse ? J'y comprends rien. »
Il rit à nouveau, silencieusement, puis passe ses doigts dans mes cheveux pour les écarter encore plus de mon visage.
« Alors je vais éclairer ta lanterne. »
Et il se penche vers moi pour poser ses lèvres sur les miennes.

« Je suis un Monstre. »
C'est ce que je murmure dès que je retrouve l'usage de la parole.
Assis à côté de moi, sous le saule, Mac passe son bras autour de mes épaules et m'embrasse la tête avant de répliquer délicieusement, en murmurant à mon oreille :
« Tu es ma Vie. »

Samedi 24 avril 2010 à 19:27

Titre : Putain
Date de création : 17 octobre 2008
Genre : Gore - Interdit aux âmes sensibles

Putain.
Putain.
Putain.
Putain.

Ce mot, papa l'avait dit maintes et maintes fois en Te frappant. J'avais l'interdiction de quitter ma chambre jusqu'à ce qu'il vienne me chercher. Pourtant, je l'entendais. Et je T'entendais aussi. Tu hurlais au Diable d'arrêter ce carnage. Tu hurlais en maudissant mon géniteur jusqu'à ses ancêtres. Ta voix était aigue, forcée et complètement déraillée. Même une craie glissant contre un tableau ne m'aurait pas donné autant de frissons dans le dos. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Et à chaque fois que je Te posais la question, Tu me giflais avec hargne et détermination.
Un coup de couteau.
Deux coups de couteau.
Trois coups de couteau.

Cette nuit, je ne T'entends pas crier. Ce n'est pas normal, n'est-ce pas ? Maman, où es-tu ? Je suis sorti sur la pointe des pieds, les sens aux aguets. Dans le salon, la télévision envoyait des sons et des images incompréhensibles pour mon âge. Et c'était le dernier de mes soucis. Tu Te souviens ? Dès que je collais mon nez à l'écran, Tu m'écartais en me criant dessus. T'as jamais aimé que je sois trop proche de cette quincaillerie. L'antenne penchait d'ailleurs dangereusement depuis que Tu l'avais déplacé. Le son grésillait mais je ne m'en occupais pas.
Je marche.
Je marche.
Je marche.
Et je glisse. Quelque chose de chaud et de visqueux m'a fait tombé. Dans la nuit, je n'ai rien vu de plus que du liquide noirâtre. Je me suis mordu la lèvre en m'apercevant que j'avais déjà eu ce liquide sur moi, le jour où je suis tombé de la balançoire. D'ailleurs, Tu m'avais bien engueulé ce jour-là. La trace de la fessée s'était effacée au bout d'une semaine.
Je me relève.
Je me remets à marcher dans le noir, à tâtons. Pour une fois, je bénissais les murs. Habituellement, je me les prenais tout le temps parce que je courais comme un fou dans la maison. Là aussi, Tu m'engueulais souvent. Et Tu essayais de me rattraper, vainement. Ma petite main maigrichonne attrape la poignée de la porte entrouverte et j'entre dans la cuisine. La haute silhouette de papa est visible près de l'évier. Je tourne un peu la tête pour Te découvrir, allongée par terre. Que T'est-il arrivé ? Qu'est-ce qu'il T'a fait ? J'interroge papa du regard mais il est trop occupé à laver un couteau sous l'eau fumante. Mes pieds sont tachés de ce liquide pourpre qu'on appelle Sang. Est-ce grave ? Je m'agenouille et Te secoue avec force pour tenter de Te réveiller. Seulement, Tu n'ouvres pas les yeux. Et moi, je me mets à chialer, comme un Con. Papa disait souvent que je n'étais qu'un pleurnichard. Tu essayais de prendre ma défense et il Te frappait devant moi.
Je me redresse.
Je titube.
Je regarde papa.
Il a un air amusé sur le visage. Un sourire étirait ses lèvres charnues. Il me fait peur. Son regard étincelle. Quelque chose ne tourne pas rond. J'ai peur. Il s'approche, je recule. Je suis bien trop petit pour faire autre chose. La lame du couteau dans sa main brille à la lueur de la pleine lune. Peut-être ai-je trop regardé de films d'horreur interdits aux moins de douze ans.
La douleur me déchire la poitrine. Un truc froid s'est enfoncé dans ma chair à vif. Je sens un liquide couler le long de mon ventre. Tu m'engueuleras pour avoir tâché mon pyjama. Papa est méchant. Il retire si rapidement le couteau et le rentre encore une fois en moi que je n'ai pas le temps de dégager. Mes jambes s'agitent, s'affolent, et je tombe dans Ton sang. Et alors que je me mets à pleurer bruyamment en criant que ça faisait mal, papa me retire mon pantalon. L'odeur du sang monte à mes narines et me donne la nausée. J'ai soudainement envie de vomir. Maman, réveille Toi. Aide moi. Protège moi. Papa rapproche dangereusement le couteau de mon pubis et je cris. Je cris tellement que je n'entend pas les reproches qu'il me fait. J'ai mal. Ma chair est écorchée, mon sang gicle alors que je perds le symbole de ma masculinité.
Il le coupe.
Comme un morceau de saucisson.
Il l'arrache.
Je hurle à en avoir mal à la gorge.
Je vois son visage à travers mes larmes. Il sourit encore. Ses rides encerclaient ses yeux avec lassitude, tel des rivières de vide voguant à travers le temps – on ne les arrête pas. Mes bras tremblent mais j'en lève un pour toucher de mes doigts ces gouffres de vieillesse. Papa a un mouvement de recul. Et je renifle encore. Le couteau s'enfonce dans ma poitrine, là où mon cœur battait à tout rompre. Je ne sens déjà plus rien. La douleur est trop forte pour que j'y tienne encore compte.
Je suis en train de crever.
Putain.
Putain.
Putain.

Neuf ans, rien dans la cervelle, et je crève.
Putain.

Samedi 24 avril 2010 à 19:28

Titre : Sale bâtard
Date de création : 17 octobre 2008
Genre : Triste - Une scène gore

_ Embrasse-moi.
_ Et puis quoi encore ?
_ Allez, un petit bisou.
_Vas chier.
Jamais nous ne nous étions embrassés. J'avais beau te le demander des centaines de milliers de fois par jour, jamais tu ne cédais. C'était à se demander si tu m'aimais vraiment. Pourtant, je n'abandonnais pas, recherchant ta chaleur toutes les secondes. Même en cours, impossible que je me détache de toi. Les potes nous regardais bizarrement et j'en avais rien à foutre. Du moment que je restais collé à toi.
Tous les matins, on se retrouvait au portail du lycée, marchant côte à côte jusqu'à notre salle de cours. Je ne pouvais pas imaginer ma vie sans toi. Dingue de penser qu'à 17 ans, on est pu rencontrer l'amour de sa vie. En tout cas, je n'étais pas prêt à te lâcher les baskets.

Aujourd'hui, il pleut. La veille, ma mère m'a fait part d'une nouvelle : un accident était survenu dans le coin, entraînant la mort de l'un des élèves de l'école. Il y en a des centaines. Je ne me suis donc posé aucune question. Arrivé devant le portail, tu n'étais pas là. Où est-ce que tu es, Marc ? J'observe, je guette. Rien. Tu ne viens pas. Alarmé, je me demande ce qui t'es arrivé pour que tu sois en retard. J'attends la sonnerie du début des cours puis, d'un pas lent, marche vers la salle. Tu n'es pas là et je n'ai aucune envie d'être là.
Le prof fait son récit habituel, nous emmerdant plus qu'autre chose avec ses racines carrées et tout le bordel. Je n'ai pas envie de me concentrer. Seul ton image se précipite dans tous les sens, m'arrachant des coups de marteau dans le crâne. J'en ai assez. Je me lève précipitamment, réveillant la plupart des potes qui somnolaient, et me dirige avec hargne vers la sortie. J'ai mal. Pourquoi tu n'es pas là ?
Marc, le plus beau mec de l'école.
Marc, le chieur de tout le monde.
Marc, le type bagarreur et sûr de lui.
Marc, tout simplement.
Je me casse du bahut. La Grand'Rue m'appelle. Premier détail : deux voitures de flics. Second détail : le contour blanc, sur le sol, d'une personne morte ici. Troisième détail : du sang. Je m'approche, inspecte, et me fait attraper par l'épaule. Un gendarme me fixe dans les yeux, sévère.
_Tu ne devrais pas être en cours, toi ?
Que répondre ? Je n'ai pas envie d'y retourner. Je suis bien là, sous la petite pluie et la fine bruine qui s'installe. Mes cheveux sont collés contre mon front, ma tête continue à me martyriser. Je veux juste savoir où tu es. Marc, tu m'as abandonné ou quoi ?! Le flic se met alors à m'interroger.
_Tu connais un certain Ronald Durois ?
Je réponds affirmativement. Ronald est un type qu'on ne pouvait pas s'encadrer, le genre de mec à lunettes totalement méprisable par son intelligence et son apparence superficielle. J'ai toujours voulu le frapper pour qu'il évite de poser ses yeux sur toi, Marc. Parce que Ronald, lui, il t'aimait aussi. Ce snob ne te méritait pas. Le gendarme reprend la parole.
_Il est mort ici, percuté par une voiture. Le conducteur, Marc Miles, est en garde à vue. Le connais-tu aussi ?
Marc, le plus beau mec de l'école.
Marc, le chieur de tout le monde.
Marc, le type bagarreur et sûr de lui.
Marc, l'assassin...
_Il était ivre au volant de sa voiture. Il fêtait certainement son obtention du permis.
Oui, tu as un an de plus que moi et tu passais ta conduite. Allais-tu me dire que tu avais eu ce putain de permis ? Quelle idée de fêter ça tout seul, hein ? T'as tué Ronald le bigleux pour te retrouver derrière des barreaux ? Un majeur ne passe pas inaperçu.
Sans vouloir en savoir plus, je suis parti. Je n'avais aucune envie d'en entendre plus sur le sujet. J'en savais déjà de trop. La pluie se fit un peu plus forte. Je suis trempée, maintenant. Je marche le long de la rue, cherchant un endroit où m'installer. Je déboule sur le parc de jeux, ce parc où on se retrouvait souvent le soir. Je m'assoie sur une balançoire, je fixe le sable mouillé du sol. Alors, on ne se reverra plus ? Cette question me trotte dans la tête. J'ai la haine contre toi. Et, pourtant, je ne t'en veux pas. Comment expliquer ce sentiment ? Un miaulement me fit tourner la tête. Un chat m'observait, à quelques mètres de là, sous un abri de bois.
J'ai la haine contre toi.
La haine contre toi.
Contre toi.
Toi.
J'approche de l'animal craintif. Il est prêt à me sauter dessus. Je le choppe par la peau du cou, rapidement, évitant ses coups de griffes. Je le fixe un instant, perturbé par mes propres pensées. Alors, je le balance, le fracasse au sol, pose mon pied dessus en l'écrasant un peu plus. Il gémit, me nargue du regard, joue des pattes pour se libérer. Ma chaussure l'écrase un peu plus, jusqu'à entendre le craquement de ses côtes. Les yeux du chat sont exorbités, il gueule et gémit en même temps. Il m'énerve. Et j'ai la haine contre toi. Je soulève mon pied, comme attiré par une force magnétique, et finit par frapper le félin avec la semelle bien à plat. Ecrasé, brutalisé, il perd la vie.
Et moi je la garde.
Enfoiré.
Connard.
Sale bâtard.
Du sang a giclé de la gueule du chat pour atterrir sur mes pompes. Ma mère va me tuer. Un dernier coup de pied dans le ventre du chat pour l'envoyer valser et je m'en vais. En fait, je déteste ce parc. Et je te hais toujours autant.
Chacun de nous a tué, maintenant. On est au même stade. Sauf que, pour un animal errant, je ne me prendrai rien. Toi, t'as joué ta propre vie. Vas chier. Je te déteste.
Et j'arrive chez moi. Par chance, mon père n'a pas fermé le garage. Je vais dedans et déniche une corde qui, normalement, servait au terrain de tennis lorsqu'on y allait. Je regarde le plafond. Un crochet, là où papa avait décidé d'attacher le punching-ball. Je trouve une chaise, me hisse dessus, et attache la corde avec force. Je fais un nœud à l'autre extrémité, passe ma tête dedans.
Je vais mourir.
Parce que tu vis.
J'écarte ma chaise sans hésitation et tombe dans le vide. La corde me lacère la gorge, me coupe la peau, et je m'étrangle doucement. Putain, ça fait mal ! Je me débats, j'essaie de retirer cette corde et de chercher la chaise en même temps. Mais elle est tombée. Pas moyen. J'essaie de hurler et ne gagne qu'à sentir mon sang couler le long de mon cou.
Enfoiré.
Connard.
Sale bâtard.
Voilà la situation dans laquelle je me trouve, à cause de toi ! Et je crève, sans t'avoir dit à quel point je te déteste. Ni même à quel point je t'aime.
L'amour n'est séparé que par une petite ligne de la haine.
Je t'aime, sale bâtard.

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