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~Antre de Riku-san~

Samedi 24 avril 2010 à 19:25

Titre : Tu ne pourras plus jamais marcher.
Date de création : 9 avril 2010
Genre : Triste - un peu psycho'
Note de l'auteur : Tout nouveau, tout frais et passablement nul. Mais je vous l'offre quand même. Pour une fois qu'il n'y a pas de mort.

Le vent siffle à mes oreilles. Ca me donne mal au crâne. Je ne pourrais pas dire pourquoi je suis dehors par ce temps et pourtant, j'suis là à me balader comme un pauvre con sur le chemin en terre, assis sur mon fauteuil roulant qui fait désormais parti de moi. Vous me prenez en pitié ? Arrêtez tout de suite ! Je n'ai pas besoin qu'on me regarde d'un air drôle alors que j'ai juste envie qu'on me laisse tranquille. D'ailleurs, vous savez quoi ? J'ai horreur qu'on me regarde. Bien avant que m'arrive cet accident débile, j'en avais déjà horreur.
J'suis un blondinet de quatorze ans, peau très pâle –pigmentation fragile. Depuis ma naissance, m'exposer au soleil est un risque. C'est pour ça que la plupart du temps, je sors par temps maussade ou la nuit. Aujourd'hui, il fait presque nuit. Et le vent souffle comme jamais. Vous savez, le genre de tempête qu'on voit une fois tous les dix ans en France. Mes piercings me renvoient des sifflements aigus et j'ai peine à rester stoïque. Ca fait mal aux tympans, bordel ! Et donc, poussant par la force de mes bras ces maudites roues de mon fauteuil, j'observe le ciel sombre. Quelques étoiles apparaissent entre les nuages gris et la Pleine Lune joue à cache-cache. Je porte un vieux pull en laine que ma mère avait tricoté pour mes huit ans. Il est toujours aussi grand mais il tient chaud. Mes jambes sont nues, n'ayant pas pris le temps de mettre un pantalon je suis sorti en short –l'appel de l'extérieur, peut-être. Avant, j'avais moi-même un regard de dégoût en voyant mes jambes devenir toutes maigres depuis mon accident. J'en ai perdu l'usage alors je ne pouvais plus faire de sport comme quelqu'un de normal. Impossible de marcher, impossible de courir. Maintenant, je regarde mes cuisses d'un œil indifférent. J'étais fautif, j'en ai payé le prix...
Remontons à l'époque de cet accident, si vous voulez comprendre.
C'était il y a trois ans. Ouais, j'avais onze ans. Du moins, presque. Et comme tout jeune du quartier, je voulais impressionner les environs. Je fumais depuis plus d'un an, je volais l'argent de mes parents ; tous ces petits trucs que n'importe quel con connaît dans les quartiers pourris parce que c'est tout ce qu'on sait faire. Et un jour, j'ai piqué un scooter. Magnifique bécane, d'ailleurs. Elle était rouge pétante avec des flammes blanches, donc assez visible pour qu'on la remarque. A croire que c'était fait exprès. Le propriétaire y avait laissé les clés alors qu'il retirait du pognon au distributeur. En moins de deux minutes, j'lui avais piqué son engin et j'étais parti vers mon bloc, là où je vivais en appart' avec mes parents. Arrivé au parking, mes potes sont venus vers moi en extase, ravis et éberlués de me voir sur ce tas de ferrailles aux couleurs vives. J'vous le dis : j'ai frimé à mort ! Et c'était peu dire.
J'ai pris l'un de mes voisins à l'arrière et on a sillonné le quartier de long en large comme des dératés, jouant sur l'accélérateur pour impressionner qui que ce soit qui passerait par là. Mais la virée s'était vite écourtée puisqu'à une intersection, j'ai grillé la priorité à une bagnole cabossée et j'me la suis prise de plein fouet sur le côté. Mon pote a valsé et moi, j'me suis retrouvé coincer sous le scooter : plus de sensations dans les jambes.
Résultat des courses : j'suis handicapé à vie, j'ai eu un traumatisme crânien, j'ai vu mon pote crever à quelques mètres de moi et j'ai blessé une gamine de deux ans qui se trouvait dans la voiture.
Vous l'dis, j'étais complètement con. Et maintenant, j'revis cet enfer dès que je ferme les yeux. J'en suis presque devenu insomniaque. A quatorze ans, on peut être débile. Comme à tous les âges, en fait. Mais c'était la goutte d'eau, j'crois. J'l'ai cherché. Plutôt que d'me la péter, j'aurai dû continuer mes études et devenir un type bien. Ou alors rentrer dans les rangs de l'armée pour me forger mon propre caractère plutôt que de copier celui des autres. Me regardez pas comme si j'étais un monstre. Mon seul regard dans le miroir tous les matins me suffit amplement.
Je suis là, sur le chemin en terre, à observer le ciel sombre. Une mouche vient m'emmerder en tournoyant autour de ma tête plusieurs fois et je tente de la virer à grand renfort de gestuels. Les roues de mon fauteuil se mettent à grincer et j'arrête ma piètre danse pour revenir au sujet de ma venue ici. Je ne sais toujours pas pourquoi je suis sorti. La météo avait annoncé une alerte rouge sur la région et moi, triple imbécile doublé d'un jeune con, je suis là en train de m'extasier sous les nuages gris à essayer de me pardonner encore une fois mon insouciance et ma fébrilité de l'époque. Derrière moi, la maison est calme. Mes parents ont déjà éteint la lumière de leur chambre alors qu'il n'est même pas vingt-et-une heures. Ils ont été présents pour me soutenir et ont toujours pris ma défense. Ils disaient à tous que c'était mon entourage qui m'avait donné cette idée saugrenue de voler un scooter et de jouer avec, que c'était parce que je traînais avec des « racailles » que j'me suis montré aussi con. Ouais. Bah non. J'étais tout à fait conscient de l'erreur que j'commettais. On en fait tous dans notre vie. J'essayais de faire en sorte qu'on me regarde, même si j'détestais ça. J'suis vraiment quelqu'un de contradictoire. Et ça n'empêche pas mes parents de vouloir retirer la charge qui pèse sur mes épaules. Mais cette charge, elle est là et elle ne partira plus jamais. Je grandirai avec et je mourrais avec. J'ai vu mon pote crever en me regardant d'un air accusateur et ça m'a suffit.
Je pose mes mains froides sur mes cuisses maigres et jette un coup d'œil sur le chemin caillouteux. Vous ne savez pas à quel point j'aimerai à nouveau marcher. Vous, vous voulez une superbe bagnole, partir à Miami ou vous taper toutes les nanas en bikini qui passeraient devant vous à la plage ? Moi, j'ai juste envie de marcher. Marcher et sentir à nouveau toutes les sensations que j'ai maintenant oublié ; le vent sur ma peau, le froid du carrelage, la douleur des gravillons, toutes ces choses qui sont si insignifiantes pour vous.
J'ai quatorze ans, j'suis con mais j'ai ouvert les yeux sur beaucoup de choses. Ce serait trop long à énumérer mais mon accident m'a permis d'ouvrir une nouvelle porte sur mon existence. A l'époque, je ne voyais aucune échappatoire au Quartier. Depuis, on m'a offert une nouvelle chance. Même si je suis handicapé à vie, je suis désormais entourée de prés et de forêts, nous vivons dans une grande maison équipée spécialement pour moi, nous avons un chien qui passe son temps à dormir ou à aboyer et j'ai même une petite sœur. J'ai l'air d'être triste ou perdue ? Ce n'est pas parce que je suis fatalement stoïque aux choses que je ne ressens que du négatif. Derrière moi les erreurs et les mauvais jours, derrière moi les conneries des jeunes de mon âge.
Derrière moi drogues, vols et Quartier.
Ici, l'air est frais, loin de sentir le vice. Tout est naturel, tout est merveilleux. J'explore de nouveaux horizons, j'arrive à respirer sans me tordre les côtes sous l'odeur des pots d'échappement ou des cigarettes Ducal complètement dégueulasses. Ici, je vis au jour le jour, observant les animaux furtifs et les arbres frissonner sous le vent. Le soleil est différent, tout comme la Lune et le ciel en général. On voit les choses sous un autre angle.
Mais mon envie de marcher s'agrandit. Plus je vois ces herbes folles se balancer au gré du vent, plus j'ai envie de marcher à même le sol et de sentir la fraîcheur que cela m'inspire. Et même si j'sais que c'est impossible, j'ai quand même envie d'essayer. Ouais, il est tôt et la tempête annoncée approche. Je prends pourtant le risque. Et je m'empare de ma cuisse avec force, serrant les doigts dessus pour soulever ma jambe. Je fais pareil avec l'autre, joignant les pieds sur le sol alors que je ne sens rien. Je me hisse par la force de mes bras sur le fauteuil pour me lever, un coup de bassin pour vivement me redresser et... je chute vers l'avant pour me retrouver le visage dans la terre.
Génial.
J'pensais à quoi, au fait ? A un miracle ? N'importe quoi. Mais mes mains touchent l'herbe fraîche et je me redresse avec difficulté pour voir ça de plus près. Mes jambes sont tendues et je ne sens rien du tout, pas même cette foutue mouche qui se pose sur mon tibia tout fin. Je lève mes yeux vers le ciel sombre, vers la Pleine Lune qui disparaît à nouveau derrière les nuages, et je serre la mâchoire. Expirant avec exaspération, j'me laisse tomber sur le dos avec fatalité et ferme les paupières. Au loin, j'entends un coup de tonnerre et le bruit m'envahit les oreilles pendant un instant. J'en avais oublié que le sifflement incessant du vent s'était calmé depuis que j'étais tombé.
J'ai l'air con, le visage plein de terre. J'm'en fous. J'ai décidé de rester là pour la nuit. De toute façon, j'pourrais pas me relever sans aide puisque mon fauteuil n'a même pas un cran de sécurité pour qu'il reste en place le temps que je m'y réinstalle. Alors je soupire maintes et maintes fois, gardant les yeux fermés et écoutant simplement l'orage qui se rapproche alors que le froid passe à travers mon vieux pull en laine. Vous croyez que j'ai envie de mourir ? Bah tiens, ce serait marrant. Avoir attendu tout ce temps pour mettre fin à mon existence ? Ce serait stupide, nan ? Vous me prenez pour un con ou un suicidaire ? Arrêtez donc. Déjà, y a que moi qui aie le droit de me traiter de con. Et suicidaire, j'en suis pas un. J'suis juste quelqu'un de bloquer envers les gens, maintenant. Je n'ai pas envie de me faire d'amis, je n'ai aucun geste affectueux envers ma petite sœur et je ne cause même plus avec mes parents. J'ai l'impression d'être une statue mobile et j'crois même que c'est le cas. J'suis très bien tout seul.
Et alors que j'entends vaguement ma mère m'appeler sur le perron sans voir mon fauteuil roulant dans la nuit, j'me met à chialer comme un gosse, couvert de terre et d'herbe, les bras sur le visage et la mâchoire serrée.
Je ne marcherai plus jamais.

Samedi 24 avril 2010 à 19:26

Titre : Le Beau et le Monstre.
Date de création : 13 avril 2010
Genre : Conte d'adolescence


Voilà que j'croise deux clochards d'une vingtaine d'années en train de baiser. La nana trop maquillée me fixe de ses yeux aussi luisants que ceux d'un chat. L'autre con, au-dessus d'elle, lui donne de violents coups de reins. Son bide rond joue de sa graisse dans un bruit de succion.
Ecoeurant.
Je n'ai jamais eu de vacances idylliques. Je vois toujours des trucs à faire gerber. A croire que je n'ai pas de chance.
Je passe donc mon chemin, un goût glauque en bouche, et je marche le long des murs. Personne ne fait attention à moi, personne ne me voit ; personne ne me touche. Je me fonds dans le décor. Depuis longtemps maintenant, je suis quelqu'un qui erre sans but précis –une âme en plein désespoir. A moins que je n'ai pas d'âme ? Je n'en sais rien. Je viens d'un Autre Monde. Le genre de monde qui vous fait peur dans vos cauchemars les plus sombres.
Autour de moi, les bruits me laissent indifférents. J'observe, je guète. Mais jamais ne m'implique.
J'ai oublié ce que c'était que d'être avec quelqu'un, d'être aimé, d'avoir une conversation. J'ai tout simplement oublié ce que c'était qu'une relation sociale.
Je suis un Monstre.

J'entre dans un bar. Derrière le comptoir, le barman au nœud papillon à la gorge ne daigne même pas lever les yeux des verres qu'il essuie et me lance simplement « Qu'est-c'que j'vous sers ? ». Indifférent, silencieux, le visage caché dans la pénombre qu'offrent mes cheveux mi-longs noirs, je tourne mon regard vers la carte scotchée sur le bar et y pose un doigt à la peau pâle. Doucement, je descend mon index le long de la liste des boissons puis m'arrête sur un choix irréel et sans importance « Vodka ».
Le barman prend tout son temps pour me servir. Pendant ces minutes, je m'installe sur une des hautes chaises et observe, entre mes cheveux raides, les quelques personnes présentes en cette fin de journée. Le bistrot est un peu vide mais certains habitués grommelaient entre eux et tapaient des poings alors qu'ils regardaient les résultats du PMU.
Décevant.
Exaspérant.
Affligeant.

Je tourne le dos à la salle. Ma veste en cuir me colle à la peau mais je l'ignore, levant mon verre en portant un toast silencieux à ma Solitude, puis je bois une gorgée de Vodka pure. Mon gosier le ressent mais j'ai pris l'habitude de boire au moins un verre d'alcool chaque jour. Au début, je m'en souviens, je toussais à n'en plus sentir mes amygdales et j'en avais les larmes aux yeux. Maintenant, ces liquides grossiers me coulaient dans la gorge comme une lettre qu'on glisse à la Poste.
Derrière moi, la porte du bar s'ouvre. Je sens le courant d'air frais me chatouiller la nuque pour le peu que mes cheveux le laisse passer. J'entends des rires fracassants, des voix tonitruantes et des commentaires plaintifs. Des filles parlaient, survoltées, des mecs renchérissaient en riant avec animosité.
Une belle brochette de lycéens débiles.
Pas la peine de me retourner pour en être certain.

Je les entends tous s'installer dans un coin de la salle et un type décide de commander pour tout le monde. Ses pas écrasent le parquet alors que je l'écoute s'approcher. Des frissons d'horreur me parcourent le dos alors qu'il passe derrière moi et je grogne silencieusement en serrant les dents. Je ne supporte pas qu'on passe derrière moi ! Un humain, qui plus est –être rachitique et égoïste.
« Cinq Coca et quatre bières Pression, s'il vous plait. »
Le barman marmonne une réponse et prépare la commande à son rythme d'escargot.
Dépêches toi, connard, que ce type se barre et me laisse seul à ce foutu comptoir !
Pris d'une soudaine curiosité –allez savoir pourquoi-, je jette un coup d'œil sur le côté, gardant toujours mon visage dans l'ombre. C'est alors que je tombe nez à nez avec deux yeux vert émeraude qui me fixent avec une certaine gaieté. Surpris, je détourne la tête et boit une nouvelle gorgée de Vodka.
« Mais que vois-je ? » entendis-je. « Ne serait-ce pas le GPDLC ? »
J'avale difficilement ma salive. Ce surnom me poursuit depuis belle lurette et je n'arrive toujours pas à l'encaisser. Gothique Psychopathe De La Classe. Bande de pourritures. A côté de moi, c'est cet enfoiré de Mac O'Leary, le sportif de la classe. Moi qui pensais être tranquille en ce premier jour de vacances. Je suis une ombre, une silhouette indistincte de la race humaine. On ne me remarque jamais alors pourquoi ce type vient me faire chier, maintenant ?! D'ailleurs, il ne m'a jamais adressé la parole jusqu'à présent. Et je lui en foutrai, moi, des GPDLC ! C'était son coach, son prof' de sport, qui m'avait surnommé ainsi. Les adultes sont tout aussi cons que les ado'.
Je trouve ça déplorable.
Détestable.
D'autres types avant moi s'étaient donnés la Mort parce qu'ils en avaient assez d'être le souffre-douleur des gens.
Moi, j'ai les couilles de rester en Vie. Je sais que ça fait chier le monde. Et je sais aussi que je ne vaux rien. Je suis un Monstre qui passe inaperçu, qui marche sur les trottoirs comme une âme en peine, habillé de noir et le visage caché sous des cheveux de jais.
L'Oréal, parce que je le vaux pas.
« Qu'est-ce que tu fais dans ce trou, GPDLC ? Tu t'es perdu ? T'as décidé de te bourrer la gueule avant de sauter dans le vide ? »
Ca te plairait, hein, que je finisse par m'écraser sur la voie ferrée. Connard.
Je l'ignore. J'entends quelqu'un qui se lève et sent la personne approcher –sorte de sixième sens qui s'est développé à force d'être seul.
« C'est qu'il est toujours aussi sombre, notre GPDLC » rigole alors la connasse qui a osé m'approcher et poser sa main sur mon dos.
J'ai horreur qu'on me touche et j'ai un mouvement de recul. Mais ce fut une erreur de ma part puisque ce geste brusque me fit défaut : ma chaise haute tangue et voilà que je me retrouve les quatre fers en l'air, le visage à portée des regards les plus indiscrets. Mes yeux croisent le regard surpris d'O'Leary et j'en ressens un vague sentiment d'abandon. Mon cœur est lourd, mon sang ne fait qu'un tour.
Qu'est-c'que je fous là ?
Pendant plusieurs secondes, j'étais sourd à tout ce qui m'entourait. Tout ce que j'avais face à moi était le regard étonné de cet enfoiré. Finalement, j'entends les éclats de rire partout dans la salle. Même le barman avait passé sa tête au-dessus du comptoir pour me fixer d'un air ironique.
Putain de solitude.
Je me redresse vivement, ne prends même pas la peine de payer ma consommation, et sort rapidement du bistrot. Une fois dehors, je prends une énorme inspiration à m'en donner mal au crâne. Je sens ma narine droite se boucher et j'expire par le nez avec force. Un filet de morve coule alors et j'y passe la manche de ma veste sans m'en rendre compte. Ma vue est brouillée et je mets bien cinq minutes avant de m'en rendre compte, planté devant la porte de cet Antre Maudit. Je m'affole en m'apercevant que j'étais en train de chialer comme une gonzesse et je me mets à courir au hasard, chassant les dernières images qui ont fait de moi la risée du seul bar que je fréquentais.
Quand je reprends mes esprits, mes pas m'avaient conduit sur le Pont de la Mort –surnommé ainsi car beaucoup d'ado' comme moi se sont jetés sur les rails en contrebas. Je renifle furieusement pour chasser les dernières larmes qui obstruaient ma vision et m'approche de la rambarde de sécurité. Derrière moi, la circulation de ce début de vacances était plutôt fluide et personne ne faisait attention à moi. Quelques piétons marchaient rapidement vers leur domicile pour rentrer avant la nuit. Le ciel s'assombrissait à vue d'œil mais j'ai décidé, pour une fois, d'ignorer le temps.
Je pose mes mains sur la rambarde et me penche en avant pour observer les rails. Je me demande combien de mètres il y a entre ces deux points stratégiques de Vie et de Mort. Bizarrement, à force de fixer les rails, j'ai l'impression de voir du sang de là d'où je suis. Je sais que c'est impossible, que c'est un effet d'optique et que les pluies incessantes de ces dernières semaines ont déjà effacé toute trace de suicide. Pourtant, c'est une image réaliste et fidèle qui m'attire.
Je ne bouge pas.
Je ferme les yeux.
Je sens le vent sur mon visage.
Mes cheveux sont emmêlés.
Je n'entends rien...

« JOSH ! »
...Quoique.
J'ouvre les paupières.
Pendant un instant, je ressens du vide. Le genre de vide que l'on a quand on a épuisé toutes ses forces. Le genre de vide qui nous prend et qu'on se croit alors indifférent à tout. Mon regard reste planté sur les rails de l'Enfer. Je n'ai jamais eu, jusqu'à présent, le vertige. Mais plus je regardais en bas, plus j'avais envie de sauter. C'était une force surnaturelle, exaltante et terrifiante. Je me voyais déjà m'écraser là en bas, déversant mes boyaux un peu partout. Mon sang aurait giclé tellement fort que, peut-être, j'aurai fait déraillé le prochain train à passer par là.
Quel con.
Plus aucun train ne passait par là depuis des années.
La voie ferrée était fermée et laisser à l'abandon.
« JOSH ! »
Serait-ce un tour du vent ou est-ce vraiment mon prénom que j'entends ? Mes parents sont les derniers à prononcer encore mon identité. Tout le reste du monde me surnomme GPDLC. Je n'ai aucun ami. Les voisins me détestent. Je me traite de Monstre pour me convaincre qu'ils ont tous raison. Je ne suis pas Gothique, je ne suis pas Psychopathe.
Je suis un Monstre.
Je soupire d'exaspération et tourne le dos au Vide. Je m'adosse à la rambarde et lève les yeux au ciel sombre. Les lampadaires de la route viennent de s'allumer et quelques voitures passent encore par là pour rentrer du boulot. Je n'ai jamais aimé ce monde. Je me suis toujours senti Différent. C'est ce qui a fait ma force, mais aussi ma faiblesse. Je n'aime personne, personne ne m'aime.
Je suis dégoûtant.
Je suis un Monstre.

Mes mains sont gelées, posées sur la rambarde. Je bouge un peu les doigts mais sens toujours plus le vent qui s'affole sur ma peau. Je ferai mieux de rentrer. D'oublier cette galère et de me remettre à ma philosophie « demain est un autre jour ». Même si je suis seul, je n'ai pas envie de mourir. Alors pourquoi je resterai ici ?
Je m'écarte du bord et marche sur le trottoir, la tête baissée. Je suis encore le seul con à errer à pieds.
« JOSH ! »
Cette fois, c'est bien distinct. Je m'arrête et guette encore mon prénom dans la pénombre. J'ai quitté le pont et les lampadaires les plus proches sont à quelques mètres devant moi. Pourtant, je n'ai aucun mal à voir. Je lève les yeux, regarde à droite et à gauche.
Rien.
Je fronce les sourcils.
Puis je me retourne.
« Mac ?... »
A cinq mètres à peine de moi, le Leader sportif de la classe me fixe. Son souffle est court et il créé de la fumée avec sa bouche. Nous sommes fin de l'hiver et il fait encore un peu frisquet le soir. De la sueur ruisselle le long de son visage. Même de là où je suis, je le vois. Mais le plus surprenant encore c'est sa bouche.
Ses lèvres sourient.
ME sourient.

Je ne comprends pas. Pendant un instant, j'imagine qu'il regarde quelqu'un d'autre et je jette un coup d'œil derrière moi.
Personne.
« Josh. »
Je l'entends m'appeler par mon prénom. Il s'approche de moi d'un pas fatigué sans cesser de sourire. Une fois devant moi, il me tend quelque chose.
« Tu as oublié ça. »
Mon portefeuille.
Je le lui arrache des mains et le fourre dans la poche arrière de mon jean noir. Je ne le regarde pas, lui fait simplement un signe de tête sans prononcer le moindre mot puis lui tourne le dos pour reprendre ma marche.
Pour être franc, je ne suis pas si indifférent. Physiquement, porter un masque est facile. Mais mon cœur, lui, tambourine et risque à tout moment de sortir de ma poitrine. Pourquoi ce type s'était donné la peine de courir me retrouver pour me rendre mon portefeuille ? N'aurait-il pas pu le jeter dans une poubelle, comme n'importe qui l'aurait fait à sa place ? Cela me désoriente.
J'en ai assez de réfléchir.
Et alors que j'arrive devant le portail de chez moi, je sens des frissons dans mon dos –le genre de frissons douloureux mais magiques quand quelqu'un vous passe le bout des doigts le long de la colonne. C'est bien la première fois que j'ai cette impression et je me retourne alors. A deux mètres, O'Leary est là.
Et me sourit.
« Je voulais être sûr que tu rentres bien. »
Après ma demi seconde d'étonnement, je fronce les sourcils. Et j'ose ouvrir la bouche pour la première fois depuis... trop longtemps :
« Pourquoi ? »
Ma voix est rocailleuse, sèche et sans émotion. Je l'entends et je revois cette image nette d'un corps sans vie sur les rails, les entrailles déchirées et le sang coagulant un peu partout. Mais cette vision disparaît très vite lorsque Mac O'Leary reprend la parole.
« Je voulais m'excuser mais tu ne m'en a pas laissé le temps. »
Une conversation était née avant même que je m'en aperçoive. J'ouvre mon portail, entre dans la cour et referme derrière moi. Ce portail est très petit, cela va s'en dire, puisqu'il m'arrive au bassin. J'ai déjà dit à mon père, il y a quelques années, que ça servait à rien.
« T'excuser de quoi ? De m'avoir appelé GPDLC ? De m'avoir poursuivit pour me rendre mon portefeuille ?
_ Non.
_ Je n'ai pas besoin de tes excuses.
_ Je crois que si.
_ Et qu'est-ce qui te fait croire ça ? »

Cette fois, je le fixe dans les yeux. Le portail nous sépare et je pense que c'est cette barrière qui me donne la force de l'affronter. Autrement, je lui aurai déjà tourné le dos pour rentrer. Il s'approche, lève le bras. Ses doigts tout froids me frôlent la joue avant qu'il ne fourre sa main dans la poche de son pantalon pour reprendre la discussion :
« Je m'excuse de t'avoir fait pleurer. »
Surpris, j'écarquille les yeux. Et avant même que je ne m'en rende compte, je me mets à geindre comme un gosse. Face à moi, Mac souriait toujours. Et même si le portail nous séparait, il s'approche un peu plus et passe ses bras autour de moi pour me serrer contre son cœur. Cette sensation est nouvelle, bizarre... et devient une drogue. Mon besoin d'affection se réveille et je m'accroche à lui comme à une bouée de sauvetage.
Derrière moi, la porte de la maison s'ouvre et j'entends mes parents parler entre eux.
Mac se recule un peu, efface mes larmes d'un coup de pouce et colle son front au mien. Son sourire est franc, adorable. Une fossette minuscule s'est creusée au coin de sa bouche. Pris d'un élan stupide, je touche ce creux du bout de l'index puis vint y poser un baiser. Cela ne déstabilise pas ce Sportif connu pour être le Bourreau des Cœurs.
Moi, je me sens con et je recule vivement de deux pas. Je le fixe comme si je voyais un fantôme, terrifié à l'idée d'être devenu sa prochaine victime. Mais O'Leary n'abandonne pas son tact et ose secouer le bras en l'air pour saluer mes parents –qui le lui rendent bien, d'ailleurs.
« On se reverra à la rentrée, Josh. Attends moi. »
Avant même que mon cerveau enregistre l'information, Mac s'en alla et disparut au coin de la rue.
Je me suis mis à trembler de tous mes membres et me suis effondré là, derrière le portail, les yeux exorbités et un filet de bave le long du menton. D'après mes parents, lorsqu'ils sont venus me chercher et m'aider, j'avais un sourire niais sur le visage... mais je ne les ai jamais cru.

________________________

Deux semaines plus tard.
Ma vie n'a pas changé. Je n'ai pas revu Mac depuis cette fameuse soirée et c'est tant mieux. Même maintenant, je ne suis toujours pas prêt à l'affronter, ne sachant pas à quoi m'en tenir. Aujourd'hui, le ciel est bleu, le soleil brille un peu trop à mon goût. Comme d'habitude, je suis vêtu de noir, ce qui ne m'aide pas sous les rayons de chaleur. J'entre dans la cour du lycée et me plante sous le saule. Je m'adosse au tronc et observe les alentours. Tout le monde est content de se retrouver, tout le monde sourit –même ceux qui détestent les cours. Toujours seul, je jette un regard entre les feuillages. Au-dessus de moi, un écureuil grignote une noisette trouvée certainement non loin. J'esquisse un léger sourire.
Puis repose mes yeux sur la cour et ses occupants.
Mac est arrivé, accompagné de tout son groupe.
C'est celui qu'on remarque le plus dans la bande. Il est plus grand, plus robuste... et nettement plus beau.
Je soupire.
Je ne suis qu'un Monstre, après tout.

Il cherche quelque chose, on dirait. Et je suppose que ce n'est pas moi. Pourtant, lorsque son regard se pose sur moi, il esquisse un énorme sourire et se met à marcher dans ma direction. Une fille lui attrape le bras.
« Où tu vas ?
_ Rejoindre ma Vie. »

Et il se dégage pour s'approcher toujours plus de moi. Derrière lui, tous ses copains le suivent du regard. Je suis mal à l'aise, je sens mes mains trembler et des gouttes de sueur couler le long de mon dos. Une fois devant moi, il n'attendit pas deux secondes que ses mains s'emparent alors des miennes.
J'entends les « Ooooh » et des « Hein ?! » un peu partout. Puis, plus rien. Mac vient de m'embrasser le front.
Allez savoir pourquoi, aujourd'hui j'avais décidé de laisser mes cheveux en arrière.
« Bonjour, Josh. »
Je penche la tête sur le côté comme un chien qui n'aurait rien compris et ne cesse de le fixer avec étonnement. Mac rit légèrement.
« Arrêtes de faire cette tête. »
Je me reprends un peu.
« Quelle tête veux-tu que je fasse ? J'y comprends rien. »
Il rit à nouveau, silencieusement, puis passe ses doigts dans mes cheveux pour les écarter encore plus de mon visage.
« Alors je vais éclairer ta lanterne. »
Et il se penche vers moi pour poser ses lèvres sur les miennes.

« Je suis un Monstre. »
C'est ce que je murmure dès que je retrouve l'usage de la parole.
Assis à côté de moi, sous le saule, Mac passe son bras autour de mes épaules et m'embrasse la tête avant de répliquer délicieusement, en murmurant à mon oreille :
« Tu es ma Vie. »

Samedi 24 avril 2010 à 19:29

Titre : Vengeance
Date de création : 17 octobre 2008
Genre : Extrêmement gore - Interdit aux âmes sensibles

Fuir.
Je passe mon temps à fuir, surtout depuis que nous ne sommes plus ensemble. T'es franchement un bel enfoiré, hein ? Il t'a fallu moins d'une semaine pour me remplacer. Et moi, ça fait des mois que je rame en ne pensant qu'à toi. J'essaie de me graver au fer rouge que je te déteste...
J'essaie...
Mais ça ne marche pas.
T'es content ? Tu m'as bien fait souffrir. Tu as toujours voulu que je me sente coupable de tout, que je prenne les choses en main et que je souffre à ta place. Tu as réussi ton coup, c'est certain. Pendant quatre ans de relation, je n'ai pas cessé de souffrir... Tu te plaignais tout le temps, tu jouais les victimes. Dans l'histoire, je me suis retrouvé écraser et totalement à la ramasse. Ca fait quelques mois que nous ne sommes plus ensemble et, pourtant, tu ne sors pas de mon esprit. La haine et l'amour ne sont séparés que par une petite ligne. Pourtant, j'éprouve encore les deux et je m'en veux terriblement. Impossible de trouver une autre personne que toi. Je refuse catégoriquement toutes les invitations qui me tombent dessus, toutes les choses bien qui pourraient m'arriver.
Tu m'as emprisonné.
Et tu ne m'as pas relâché.

Je reste toujours le larbin de service. Tu reviens vers moi, à chaque fois. Tu crois que je vais te pardonner, que je vais faire le beau et t'accepter à nouveau près de moi. Mais dès que tu te rapproches, je m'éloigne en me répétant que ce n'est pas la première fois que tu me remplaces !
Fuir.
Je ne connais que la fuite. Je suis devenu ringard et faible depuis que tu es parti. Depuis quelques temps, tu te balades en ville en tenant la main d'une Bouffonne. Et moi, garçon sans importance, je me tire en courant. Je ne supporte pas cette vision, ce sourire que tu graves sur tes lèvres alors que t'es avec Elle.
Je te hais.
Je t'aime.
Je la hais.
C'EST MA SŒUR !

Tu n'avais pas le droit de faire ça. D'accord, je t'en voulais de partir avec les filles. Mais là, c'est ma sœur que tu te tapes. Et comme si cela ne te suffisait pas, tu passes à la maison, tu sonnes, tu entres et tu marches dans les couloirs comme si tu étais chez toi. Je t'entends quand tu t'arrêtes devant la porte fermée de ma chambre. Quand je sais que tu es là, je m'enferme et reste sur mon lit, faisant semblant de lire un bouquin.
Fuir.
Je ne peux pas t'affronter maintenant. Malgré les mois qui sont passés, que tu ai demandé que je te pardonne, je n'y arrive pas. Je te déteste du plus profond de mon être. Et je hais ma sœur pour t'accepter aussi facilement après ce que tu m'as fait. Elle m'a toujours dit qu'elle te casserait la gueule et voilà que vous sortez ensemble ! En fait, je crois qu'elle attendait simplement qu'on casse pour qu'elle use de son charme devant toi. Je la vois se pouponner tout le temps dans la salle de bain en train de chanter des tubes de Lorie, tout aussi Conne qu'elle.
Je voudrais vous tuer.
Vous voir crever en m'implorant.
Je vous laisserai agoniser sans rien faire.
Je vous hais.
Je t'aime.
Fuir.

Nous sommes vendredi, début du week-end, et tu es là, à la maison. J'entends ma sœur rire alors que je suis cloîtré dans ma chambre sans oser sortir. Vous êtes encore en train de vous taper un trip sur Tekken 5. Je suis assis sur mon lit, ta photo entre les mains. Tu te souviens de cette photo ? T'es rentré dans le photomaton en pensant que j'allais te suivre et, pour le coup, t'as fait une grimace exemplaire. Nous en avons bien rit, ce jour là...
Ca y est, le rire de l'autre Connasse se transforme en gémissements. Je jette ta photo à travers ma chambre et bouche mes oreilles de mes mains, retenant à grand peine des larmes de haine et de souffrance. C'est toujours le même refrain. Pourquoi, d'un coup, j'ai des fourmillements dans les doigts ? Je retire mes mains des oreilles pour les regarder et écoute. Vous êtes bien occupés. Comme un automate, je me lève, vais ouvrir ma porte et sors direction la cuisine. Je vous vois dans le salon. Les parents sont pas là, elle en profite la grognasse. Tu es sur elle, tu t'enfonces en elle comme un malade, comme tu le faisais avec moi parce que j'adorais ça. Tu lui pelotes les seins. C'est ce qu'il te manquait ? Une paire de nichons ? Désolé, je suis un mec, c'est con.
Je vais chercher l'un des gros couteaux de cuisine de maman. Le plus affûté, quand même. Et je reviens vers vous. Toujours dans vos petites affaires, vous ne m'entendez même pas. Sans compter que ma putain de sœur a fermé les volets du salon en plein après-midi. J'ai failli me prendre l'une de tes godasses. C'est ton cul que j'ai en face de moi. Tu continus à pénétrer le trou de ma frangine et moi, je suis totalement indifférent. Jusqu'à maintenant, il n'y avait que haine, souffrance et amour à sens unique.
Vengeance.
Je regarde la lame du couteau un instant, esquisse un sourire sans émotion, et te le plante entre les fesses avec hargne. Tu cris, tu saignes. Tu hurles à t'en décrocher les amygdales. C'est la douleur que tu m'as infligée en me baisant comme un fou ! Tu essaies de te lever, tu tombes par terre et me fixe, désemparé. C'est bon de te voir comme ça. Ma sœur hurle à son tour et je lui jette un œil, pour qu'elle arrête. Aussitôt, elle prend un coussin et se le met sur le visage. J'ai aussi envie de lui faire mal. Aussi, je m'approche d'elle et plonge le couteau là où, deux minutes avant, tu avais ta queue. Je retire puis rentre à nouveau la lame à cet endroit précis alors qu'elle hurle. Ca fait un bien fou. Mais ce n'est pas avec elle que j'ai le plus envie de jouer. Tu es par terre, en train de saigner du cul, à me fixer comme si j'étais un fantôme. Je me verrai plutôt en faucheuse, sur le moment. Je m'accroupis en écartant tes jambes. Tu as un mouvement de recul mais, courageux comme tu es, tu ne dis rien. Alors je saisi ton sexe pour le couper lentement. Tu pleures, tu gémis, tu te mords les lèvres pour éviter la crise. Tu aimerai appeler à l'aide mais tu es trop fier, connard. J'arrache le reste de tendons qui restent accrochés entre ton corps et ta queue, la lèche une seconde puis l'envoie voler. Tu tombes dans l'inconscience... Mais tu sembles comprendre. Ta main s'avance vers moi, je recule.
Fuir.
Tes doigts caressent ma joue, mes lèvres ensanglantées, puis tombent mollement sur le sol. Tu t'es évanoui dans la fierté, fils de pute.
Et je t'aime toujours autant !
Tu joues les gentils, t'as toujours été tendre derrière tes plaintes.
Et tu t'évanoui dans l'honneur !
Et je me tue dans l'horreur...
La lame se plante dans ma gorge, je la coupe d'une traite rapidement, un simple passage et mon sang gicle.
Le couteau tombe, atterrit sur un bain de sang.
Je tombe, atterrit sur Toi...

Samedi 24 avril 2010 à 19:30

Titre : Le récit de l'étalon
Date de création : 5 avril 2009
Genre : Point de vue animal - Réalité

J'ai bientôt un an. Oui, bientôt un an et je suis destiné à reprendre le rôle de mon père, chef des étalons sauvages de la contrée. Grand, fort et courageux, mon père a vu évoluer tout le clan depuis des années. Fier de porter son pelage noir, je gambade fièrement dans la prairie en compagnie des autres poulains.
Il nous est interdit de franchir les premiers arbres de la forêt. D'après ma maman, le danger rôde partout, et surtout à couvert. Alors je préfère jouer non loin d'elle.
Le soleil est haut, dans le ciel. Papa m'a dit un jour que ce grand rond jaune et lumineux nous servait de guide depuis la nuit des temps, laissant aux chevaux la possibilité d'être libres. Nous allons bientôt quitter ces terres pour trouver d'autres herbes à manger avant l'hiver. Papa tient absolument à être en alerte chaque minute qui passe. C'est pourquoi il s'interdit de jouer avec moi. Alors je compense son absence avec les autres jeunes de mon âge.
Cela fait deux bonnes heures que je m'amuse à travers la prairie. Maman me surveille, je le sens. Alors ça me rassure. Seulement, en entendant un long cri d'agonie non loin, je m'arrête et dresse les oreilles avec peur. Je vois l'un des chevaux du clan tomber sur le côté, inerte. Alors tout le monde se met à galoper et moi, je reste planté là. J'ai peur. Ma respiration est rapide et je me suis épuisé à jouer avec les autres. Du coup, je suis le seul à être à l'arrêt. Tout le monde part dans la direction opposée...
C'est alors que je les vois : deux humains sur des chevaux scellés, fusils et cordes en main. Papa m'a expliqué qu'ils étaient nos plus grands ennemis, qu'ils faisaient tout pour nuire à notre liberté.
Je me mets alors à galoper. Pas dans le sens qu'a pris ma mère mais dans l'autre, droit vers les hommes. Je suis aussi brave que mon père... Oui ! Je galope, de plus en plus vite, tambourinant la terre de mes sabots. Je dois m'enfuir ! Devant moi, les chevaux se resserrent, guidés par les rênes que tiennent les bipèdes. L'issu se retrouve alors bloquée mais je ne m'arrête pas pour autant. Je souffle des naseaux, je fais monter mon courage d'un cran et... je prends un virage serré sur la droite, les évitant de justesse. Je dérape légèrement mais continue ma course folle. Les chevaux se sont cabrés et l'un des hommes est tombé. Hennissant mon contentement, j'accélère une nouvelle fois en direction de la rivière. Derrière moi, le deuxième homme me suit rapidement, pointant son arme vers moi.
Respirant à pleins naseaux, paniqué par le coup de feu qui siffle à l'une de mes oreilles, je me mets à zigzaguer jusqu'à l'eau et saute comme une biche pour traverser rapidement. Une fois de l'autre côté, je reprends mon souffle et observe l'homme qui s'est arrêté devant la rivière. Il m'observe, me fixe... Son fusil n'est plus braqué sur moi. Mes oreilles sont dressées vers lui alors que je respire encore rapidement. Je suis encore trop petit pour ce genre de jeu suicidaire. Mon père va me gronder, c'est certain.
Fier d'avoir tout de même réussi le plus dur, je me cabre en hennissant, jouant de mes pattes avant dans l'air pour les reposer ensuite farouchement sur le sol. Puis, rapidement, je fais demi-tour et m'éloigne de la rivière en galopant à nouveau. Même si je n'ai pas repris totalement une respiration normale, il faut que je m'éloigne. Sécurité avant tout.

Les mois ont passé. Je suis devenu l'étalon noir que mon père voulait comme chef de clan. J'ai passé des journées entières à traverser les plaines et les montagnes, essayant en vain de rejoindre ma famille. Jamais je n'ai retrouvé la trace de l'un des chevaux de la tribu. Cheval sauvage et libre, je voyage avec l'espoir encore au ventre. J'ai grandi trop vite, oubliant les jeux et l'innocence de la jeunesse, bravant les interdits pour rester en vie. Plusieurs humains ont croisé ma route, mais personne n'a encore osé me capturer. Ce n'est qu'une question de temps, je le sais. Pour le moment, ils se méfient de moi.
La lune est pleine, ce soir. Les étoiles brillent de milles feux et je me demande si ma mère est encore en vie. Je continue ma marche, sans oser m'arrêter. Le monde est vaste et difficile à reconnaître. Mes pas m'ont conduit plusieurs fois dans les forêts où les ombres semblent cruelles et sanguinaires. Cette fois, je suis dans une clairière et je trottine doucement sur la neige froide. Un vent froid se lève et secoue ma crinière noire. Les flocons me tombent dans les yeux et je souffle bruyamment des naseaux. C'est alors que je repère une lueur, droit devant, à quelques mètres. Croyant à un quelconque bipède, je tourne sur ma gauche et avance lentement dans l'ombre des arbres. J'entends alors un hennissement, puis un autre, des bruits de sabots sur une terre non couverte de neige. Ce n'est pas ma famille, impossible. J'aurai reconnu leur odeur.
J'entends le craquement d'une brindille derrière moi et dresse l'oreille en tournant la tête. Une corde vint alors entourer mon cou et je me cabre rapidement avec panique. Je martèle la neige de mes sabots avant de galoper vers la lumière qui se rapproche encore. Je croise alors une horde de chevaux sur le qui-vive. L'un d'eux, d'un blanc aussi pur que la neige, croise mon regard et observe la corde qui me serre le cou. Un poids la resserre encore jusqu'à ce que je comprenne qu'un humain y était solidement accroché à l'autre extrémité, hurlant de frayeur. J'arrête alors ma course un peu plus loin, après avoir traversé tout le clan de chevaux sauvages. L'étalon blanc que j'ai croisé s'avance vers moi et c'est alors que je comprends mon erreur de jugement : c'est une jument ! Elle s'arrête à côté de l'homme et le sent rapidement. A quoi joue t-elle ?
Elle marche vers moi en me fixant puis se stoppe et approche son museau de moi. Réticent, je recule. Elle le remarque mais ne s'arrête pas pour autant, venant alors mordre la corde qui m'entrave le cou jusqu'à la couper en deux. Secouant la tête pour retirer entièrement la corde, je joue des sabots sur la neige et observe l'homme qui se relève avec difficultés. Il n'est pas rassuré et recule de quelques pas en me fixant avec méfiance. Qu'est-ce qu'il croit ? Que je vais l'attaquer ?
La jument blanche passe devant moi et pousse un léger râle en direction de l'humain. Ce dernier pousse un soupir soulagé, croisant les mains comme s'il priait. Il recule encore, se retourne et grommelle un truc du genre :
« 'Sont malins, les ch'vaux sauvages. 'Patron va m'tuer. »
Je n'essaie pas de comprendre ce que ce langage veut dire. Je suis la jument des yeux. Cette dernière s'éloigne, suivit par le reste de la troupe. La lueur que j'avais aperçue plus tôt, d'où venait-elle ? Je vois alors qu'un feu de camps était allumé, un peu plus loin. La nuit est toujours aussi sombre et je ne distingue plus rien des chevaux sauvages. Bon sang. Je galope alors dans leur direction et les atteint enfin. Ce serait peut-être plus judicieux de les suivre. La jument blanche tourne l'oreille vers moi, m'observe du coin de l'œil et secoue sa crinière grisâtre. Pas mal, pour une jument.

Après tout ce temps passé avec ce groupe, j'en ai oublié ma priorité : retrouver mon clan. J'ai atteint l'âge de devenir le chef à la place de mon père. Adulte et vigoureux, je galope chaque jour autour de ce clan que je suis depuis deux années. La jument est compréhensive et me laisse faire. En fait, elle est à peine plus âgée que moi.
Mais il fallait à tout prix que je retrouve les miens. Ca faisait maintenant trop longtemps que j'ai vécu sans ma mère et les poulains avec qui je jouais. C'est pourquoi, alors que le groupe de la jument dormait sur la prairie verdoyante, je me suis approché doucement d'elle. Elle dresse les oreilles puis lève le museau vers moi pour me regarder. Je pousse alors un léger râle et gratte le sol du sabot.
Je dois partir.
Elle baisse les oreilles vers l'arrière, s'avance vers moi et passe sa tête dans ma crinière sombre. Nous avions appris à nous accepter et il y avait une fin à cette histoire. Je lui donne un coup de museau sur le cou et recule de quelques pas. Pendant un moment, je la fixe sans oser bouger. Finalement, elle baisse la tête et je pars au grand galop, loin d'elle, loin de cette prairie et de ces chevaux qui m'ont accepté comme l'un des leurs.

Après plusieurs heures, le soleil décline à l'horizon. Je n'ai pas vu la journée passer. Je hume l'air et crois rêver lorsque je sens l'odeur caractéristique de ma mère en train de paître non loin. Je hennis avec rage et victoire, poussé par une curieuse force naturelle, courant vers ce clan qui avait disparut trois années auparavant. Les membres de mon clan se dressent, me reconnaissent et m'acclament en se cabrant et en hennissant aussi bruyamment que moi. Ma mère galope vers moi, on se sent, on se heurte la tête... On se retrouve.
J'entends le puissant râle de mon père et tourne ma tête vers une petite colline. Il est là, fièrement dressé sur ses pattes, crinière agitée au vent. Content de l'avoir retrouvé, je galope vers lui et me tient à ses côtés, fixant la plaine et les chevaux en liberté.
Enfin...
Alors, doucement, mon père s'éloigne et rejoint ma mère en contrebas. Je reste seul sur cette petite place qui, désormais, sera la mienne jusqu'à ce que mon futur fils prenne la relève. Je repense à tout ce que j'ai traversé, aux dangers que j'ai affronté ; et à cette jument blanche qui n'a jamais cessé de croire en mes capacités de chef. Je me sens capable de tout, maintenant. Mon enfance a été brisée mais j'en ai gagné une fierté incomparable.
C'est alors que je sens une odeur suspecte. Alors que le vent me fouette les yeux, je hume en dressant les oreilles en tout sens. Je vois alors surgir des chevaux par là où je suis arrivé. La jument est là, galopant dans le vent, hennissant avec hargne pour prévenir du danger. J'entends alors le cri des humains prêts à recommencer une capture. Ils sont sur leurs chevaux, armes et corde à la main, comme la première fois que je les ai vu. Cette fois, ils étaient cinq.
Sans réfléchir, je bondis en avant, m'éloigne de la colline pour avancer vers eux farouchement. Je suis un adulte et un chef de clan, désormais ! La jument passe non loin de moi et me regarde pendant un instant. Je fonce vers l'un des cavaliers et heurte le flanc de son destrier à coup de tête. L'homme tombe et ne se relève pas. Un coup de feu retentit, un cheval hennit fortement. Ma mère tombe sur le côté, incapable de se relever. L'un des hommes s'approchent d'elle et je galope vers lui avec rapidité, l'envoyant valser avec son cheval. La jument blanche tient tête à un autre homme après l'avoir fait tomber de son cheval, et tente de le piétiner sous ses sabots. Ma mère agonise lentement mais sûrement... Mon père, fier et toujours d'aplombs attaque aussi les humains pour protéger notre clan. En fait, l'horreur est là. D'autres coups de feu retentissent, d'autres chevaux tombent et je remarque alors le cinquième cavalier sur la colline. Je contourne rapidement la prairie, galope sur les cailloux puis me lance dans les hautes herbes. De là, j'avance avec précaution, essayant de ne pas me soucier de nouveaux coups de feu, jaugeant plutôt la situation et à savoir où cet humain se trouvait. Là, à quelques mètres devant moi, son cheval est attaché à un arbre. Je sors de ma cachette et fixe l'homme qui se tourne alors vers moi en pointant son arme et je saute en entendant le coup de feu. L'humain se retrouve coincé sous mon poids alors qu'on dévale la petite colline ensemble. Je sens une horrible douleur au niveau de mon ventre et la chute s'arrête enfin. L'homme gémit, se redresse difficilement et me regarde. Je souffle des naseaux, je tente de me relever mais retombe mollement sur le côté. L'odeur du sang couvre les odeurs de la nature. Je vois mon père s'approcher, accompagné de la jument blanche et de quelques autres chevaux. Enervé, papa mord l'air non loin de la tête de l'humain qui se lève et court sans trop savoir où aller, suivit par deux chevaux du clan. Je me sens engourdi mais je suis fier de moi une fois de plus. Je n'ai pas pu sauver tout le monde mais j'ai pu éloigner les humains pour un temps. Je tente une nouvelle fois de me lever mais la douleur est trop flagrante et je gémis en laissant la tête tomber sur l'herbe.
Papa. Je suis si fier d'être ton fils.
Mon père semble partagé entre la fureur et la tristesse. J'en ai certainement trop fait. Je sens alors la jument s'allonger derrière moi et je lève un peu la tête pour tenter de la voir. Elle fait en sorte de placer ses pattes avant sous ma tête. Ma position est un peu plus confortable. Le froid m'envahit doucement alors que le soleil tape. Maman a rendu son dernier soupir et certains chevaux de la horde allaient et venaient en essayant de chercher des survivants. Finalement, je me sens triste. J'ai voulu retrouver ma mère pendant si longtemps, et voilà comment ça se termine. La jument blanche passe son museau dans ma crinière, mon père baisse les oreilles. Je comprends alors l'ampleur des dégâts et me prépare à rejoindre ma mère, quelque part au-delà de ces montagnes.

Les humains pensent toujours avoir raison et se disent que les animaux n'ont aucun sentiment. Tout comme eux, nous essayons de protéger notre progéniture, notre famille. Ils nous arrachent pourtant les êtres qui nous sont chers, comme s'ils se vengeaient d'une chose que nous n'aurions pas commise. Notre liberté n'a jamais rien eu à voir avec eux, pourtant ils nous l'enlèvent de plus en plus. Papa m'a toujours dit de me méfier. Et même si j'étais sceptique, j'aurai voulu leur laisser une chance. C'est en s'entraidant qu'on devient plus fort. Pourtant, ils ont préféré nous tuer.
Avec la bravoure de mon père, j'ai essayé de sauver une partie du clan. Je sais pourtant que les humains reviendront et que les chevaux sauvages disparaîtront un jour. Cependant, il faudra inscrire ça dans leur cerveau de bipède débile que nous avons tout autant de sentiments qu'eux ! Sinon, nous ne risquerions pas notre vie pour sauver nos compagnons.
J'aime à penser qu'un jour, les massacres finiront. Et c'est en rendant mon dernier soupir que je souhaite, du plus profond de mon être, que les humains ouvrent enfin leur cœur à la nature.

Samedi 24 avril 2010 à 19:31

Titre : Le récit du chat
Date de création : 16 janvier 2008
Genre : Point de vue animal
Note : J'avais commencé ce texte en l'honneur de Kyo, mon chaton mort après avoir été percuté par une voiture. J'ai imaginé sa vie d'avant, avant qu'il ne soit avec nous. Je n'ai jamais continué ce récit mais, sur un forum, il a été jugé "percutant". Alors je le livre ici.

Le froid. Je ne sens que le froid dans ma petite fourrure mouillée. Où suis-je ? Qui suis-je ? Je sens enfin quelque chose de chaud sur ma tête. C'est râpeux. Qu'est-ce ? Je ne peux ouvrir les yeux mais émet un léger grognement de satisfaction. Je tente de bouger mes pattes mais elles sont toutes engourdies. Puis je sens un corps chaud contre le mien. Serait-ce Maman ? Oui, sûrement. Je me sens bien là, protégé et au chaud. Je m'endors...

_____________

De la lumière. Il y a de la lumière qui me fait mal à travers mes paupières. J'ouvre doucement les yeux et les accommode au matin. Le sol est tout proche de mon menton, un ronronnement me fait dresser les oreilles juste à côté de moi. On se frotte contre moi. Je tourne la tête vers mon frère, qui est là, somnolant encore au côté de notre sœur. Cela faisait quelques mois que nous étions nés et Maman jouait souvent avec nous. Mais elle désertait très tôt le matin pour nous chercher à manger... C'est ce que je n'aimais pas. A chaque fois, je sentais le danger peser sur nous et je ne saurais protéger mon frère et ma sœur si un chien ou un énorme chat venait à trouver notre cachette dans les cartons.
Je miaule doucement, réveillant ainsi ma petite famille. Les deux dressèrent les oreilles et moi, de même, observait vers le bout de la ruelle. Là-bas, dans la petite ville, des humains marchaient. Certains étaient pressés à l'approche de Noël. Il faisait froid... Beaucoup de personnes avaient des paquets cadeau déjà dans les mains et ne savaient plus comment regarder devant eux. J'étire doucement mes pattes avant, vint en lécher un de ma langue râpeuse, la même que Maman, et je me lève. Encore un regard vers le bout de la ruelle et je donne un petit coup de museau dans le ventre de mon frère. J'espère qu'il ne va pas se précipiter vers les humains... Il a l'art de se retrouver dans des situations plutôt périlleuses mais c'est toujours Maman qui le sauve au bon moment. Elle nous a toujours fait comprendre que les hommes nous détestait parce qu'on était sauvage.
Ma sœur se réveille à son tour et nous nous assîmes sur la petite couverture improvisée faite avec un pull délavé et troué en laine. Notre regard baladait la ruelle.

Maman, où es-tu ?...

Une ombre se dessine à l'autre bout, là où notre refuge terminait en cul de sac. Nous nous mîmes à miauler, espérant que ce soit notre mère qui revenait avec une ou deux souris à nous mettre sous la dent. Nous étions encore trop petits pour partir à la chasse.
Mais l'ombre qui s'approchait était bien plus grosse que la stature de Maman et mon instinct me prévint qu'il y avait sûrement un danger. C'est pourquoi je me reculais dans la boîte en carton faisant notre logis et tira sur la queue de mon frère pour qu'il dise aussi à ma sœur de rentrer. Plus loin, un long miaulement sinistre nous firent dresser les oreilles, puis les baisser de peur. Sûrement l'un de ces grands mâles qui faisaient la loi, comme Maman nous l'avait appris. Et ils étaient dangereux avec les petits chatons comme nous, les prenant pour de simples repas.
Alors qu'on pensait vraiment mourir pour notre si jeune âge, un éclair noir et blanc passa juste devant nos yeux et le grognement de Maman se fit entendre. Le matou qui était venu troubler notre solitude se mit à miauler de mécontentement avant de se faire rapidement virer par la maîtresse des lieux. Lorsque nous fument seuls avec notre mère, nous nous élançâmes vers elle pour miauler de joie.

Tu nous as manqué Maman.

Un peu plus loin, elle avait lâché les deux petites souris qu'elle avait capturées pour nous et elle les ramena gentiment dans le carton pour qu'on puisse manger à notre faim.

_____________

Quelques jours après cet épisode, un nouveau matin de décembre, alors que tous les humains s'étaient enfermés pour fêter Noël, Maman était encore partie à la chasse. Mon frère, le premier réveillé cette fois, miaula avant de s'élancer vers la grande place où, habituellement, les hommes se bousculaient pour acheter de quoi manger. Grognant contre son inconscience, je réveillais d'abord ma sœur avant de m'élancer à mon tour, regardant bien si elle me suivait. Nous fument alors trois chatons noir et blanc à vagabonder sur cette grande place de pavés que nous voyons pour la première fois depuis notre existence. Maman nous avait plusieurs fois interdit d'y aller. Mais mon frère n'en faisait toujours qu'à sa tête par moment... Donc, trois petits chatons affamés attendant leur mère, nous marchions à la conquête de n'importe quoi qui pourrait nous intéresser. Nos jeux pouvaient tourner parfois au vinaigre, c'était pour dire. Espérons simplement que, comme d'habitude, notre mère nous sauverait à temps. Nous comptions toujours sur elle.
Mes oreilles repèrent un bruit suspect non loin. Je lève les yeux vers une fenêtre. De l'autre côté de la vitre, un chat blanc avec un collier nous fixait, grattant sur le verre en miaulant doucement. Une femelle, oui. Je miaule à mon tour avant de voir qu'un humain l'avait alors doucement prise dans ses bras pour la retirer du rebord de fenêtre et l'emmener avec lui. Me retrouvant surpris par tant de douceur, je ne remarque pas tout de suite le miaulement désespéré de mon frère. Finalement, je tourne la tête vers lui et vit qu'il s'était coincé la patte dans un caniveau. Comment le sortir de là ?...

Maman, tu as toujours été là...

Le miaulement de mon frère devenait de plus en plus angoissant. Il avait vraiment mal. Je me suis précipité vers lui pour lui passer un coup de langue sur la tête, désireux de lui faire comprendre que tout allait bien, qu'il allait se faire aider. C'est alors que je vois un humain sortir de chez lui. Ayant peur, puisque Maman nous disait de s'en méfier, je m'éloignais rapidement, accompagné de ma sœur. Cachés derrière un pot de fleurs en pierre complètement gelé, nous regardâmes ce qui se passait. L'homme regarda l'état de mon frère coincé et se frotta les cheveux de ses mains gantées, faisant une petite grimace qui, je le voyais bien, semblait assez contrariée. Que s'apprêtait-il à faire ? Encore une fois, il examina mon frère pour, enfin, lui prendre le cou et le lui tordre rapidement.
Baissant les oreilles, j'entendis à peine de cri de douleur pousser par mon frère avant qu'il ne meurt sous mes yeux. L'humain, lui, le fixa en déclarant :

« Tu n'aurais pas pu survivre, petit. »

Tristes, ma sœur et moi ne montrions pas notre présence et firent demi-tour pour rejoindre notre ruelle. Là, notre mère attendait, ayant tout vu de la scène. Assise, elle bougeait frénétiquement la queue, signe qu'elle était énervée mais aussi déçue. Elle nous mordit l'oreille à tout deux en nous grognant dessus et la journée se termina ainsi.

_____________

Quelques mois plus tard, bien que nous gardions notre frère en mémoire, ma sœur et moi préférions passer près du caniveau où l'humain l'avait tué pour ensuite le décoincer. Cela nous le rappelait, ainsi nous ne pouvions que nous souvenir de lui. Maman, elle, restait toujours en retrait, accablée par le fait que nous ne soyons que de pauvres âmes en peine qui marchaient lentement, le ventre contre terre, à s'en vouloir pour la mort de notre frère. Beaucoup d'humains disaient que les animaux ne ressentaient pas les sentiments ni les émotions qu'ils possédaient, que nous n'étions que des bêtes qui ne pensaient qu'à survivre. Mais nous, au moins, nous nous battions avec les moyens du bord, utilisant notre intelligence pour chasser et non pour créer des choses destructrices !
Donc, une nouvelle fois près de ce caniveau, alors que l'été approchait rapidement, j'observais autour de moi. Les hommes et les femmes étaient tous de sortie, ne nous jetant aucun regard, nous ignorant pour continuer leur quotidien. C'est alors que j'aperçus la chatte blanche dehors, sur le même rebord de fenêtre où je l'avais vu en hiver. Elle regardait partout, observait, guettait, libre enfin de l'autre côté de la vitre. Elle était déjà adulte, sûrement le même âge que Maman. Nos regards se rencontrèrent alors et elle décida de quitter son perchoir pour venir en trottinant vers moi. En fait, de près, elle était très belle. Ses poils blancs étaient brillants et doux, ses yeux étaient d'un bleu ciel magnifique et elle semblait aussi gentille qu'aristocrate. Maman détestait les chats domestiques...
Une fois devant moi, elle me passa un coup de langue sur la tête. Je baisse mes oreilles sous la méfiance, la laissant tout de même faire. J'approchais de mon âge adulte alors pourquoi allais-je jouer ? Mais son geste me fit comprendre qu'elle savait pourquoi ma sœur et moi tournions autour de ce caniveau chaque jour. Triste à cette idée, je ne pus que m'approcher de cette chatte et de me coller doucement à ses poils, me couchant à même le sol pour ne plus trouver la force de me relever.
Ma sœur me rejoignit, s'asseyant plutôt à côté de la chatte blanche, ronronnant doucement. Au loin, j'ai vu ma mère nous regarder, assise à la sortie de notre ruelle...

Pourquoi tu n'as pas bougé ce jour-là ?

« Maman ! Maman ! Regardes les chats ! »

Une enfant avec sa mère s'approcha de nous. Dressant les oreilles, je me relevais avec méfiance pour reculer doucement, grognant. Ma sœur fit de même mais la chatte blanche resta sur place, posant son fessier à terre et se léchant la patte avant avec délice. La gamine s'intéressa davantage à ma sœur et elle fit quelques pas vers elle, approchant une main vers elle. Alors ma sœur lui asséna un coup de griffes et c'est alors que la mère de l'enfant porta un coup de pied contre elle. Elle vola alors quelques mètres plus loin, atterrissant lourdement sur le flanc. Me précipitant vers elle, je n'ai pas vu la chatte blanche cracher vers l'humaine et me suivre.
Près de ma sœur, je lui donna un léger coup de museau sur le sien pour voir si elle vivait encore. Sa respiration était lourde, quelques gouttes pourpres sortaient de ses narines.

Non... Pas toi...

Miaulant avec acharnement et mélancolie, je laissais la chatte blanche lécher ma sœur dont le ventre se gonflait de moins en moins au fur et à mesure que son cœur arrêtait de battre. Maman, elle, était toujours au même endroit. J'étais alors le seul de la portée... Partant en courant vers ma mère, la chatte blanche me barra le passage. Miaulant, j'essayais de comprendre ce qu'elle me voulait. C'est alors qu'elle me pris par la peau du cou, dans sa gueule, jeta un regard à ma Maman et m'emmena alors avec elle vers les maisons humaines.

_____________

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