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~Antre de Riku-san~

Samedi 24 avril 2010 à 19:25

Titre : Tu ne pourras plus jamais marcher.
Date de création : 9 avril 2010
Genre : Triste - un peu psycho'
Note de l'auteur : Tout nouveau, tout frais et passablement nul. Mais je vous l'offre quand même. Pour une fois qu'il n'y a pas de mort.

Le vent siffle à mes oreilles. Ca me donne mal au crâne. Je ne pourrais pas dire pourquoi je suis dehors par ce temps et pourtant, j'suis là à me balader comme un pauvre con sur le chemin en terre, assis sur mon fauteuil roulant qui fait désormais parti de moi. Vous me prenez en pitié ? Arrêtez tout de suite ! Je n'ai pas besoin qu'on me regarde d'un air drôle alors que j'ai juste envie qu'on me laisse tranquille. D'ailleurs, vous savez quoi ? J'ai horreur qu'on me regarde. Bien avant que m'arrive cet accident débile, j'en avais déjà horreur.
J'suis un blondinet de quatorze ans, peau très pâle –pigmentation fragile. Depuis ma naissance, m'exposer au soleil est un risque. C'est pour ça que la plupart du temps, je sors par temps maussade ou la nuit. Aujourd'hui, il fait presque nuit. Et le vent souffle comme jamais. Vous savez, le genre de tempête qu'on voit une fois tous les dix ans en France. Mes piercings me renvoient des sifflements aigus et j'ai peine à rester stoïque. Ca fait mal aux tympans, bordel ! Et donc, poussant par la force de mes bras ces maudites roues de mon fauteuil, j'observe le ciel sombre. Quelques étoiles apparaissent entre les nuages gris et la Pleine Lune joue à cache-cache. Je porte un vieux pull en laine que ma mère avait tricoté pour mes huit ans. Il est toujours aussi grand mais il tient chaud. Mes jambes sont nues, n'ayant pas pris le temps de mettre un pantalon je suis sorti en short –l'appel de l'extérieur, peut-être. Avant, j'avais moi-même un regard de dégoût en voyant mes jambes devenir toutes maigres depuis mon accident. J'en ai perdu l'usage alors je ne pouvais plus faire de sport comme quelqu'un de normal. Impossible de marcher, impossible de courir. Maintenant, je regarde mes cuisses d'un œil indifférent. J'étais fautif, j'en ai payé le prix...
Remontons à l'époque de cet accident, si vous voulez comprendre.
C'était il y a trois ans. Ouais, j'avais onze ans. Du moins, presque. Et comme tout jeune du quartier, je voulais impressionner les environs. Je fumais depuis plus d'un an, je volais l'argent de mes parents ; tous ces petits trucs que n'importe quel con connaît dans les quartiers pourris parce que c'est tout ce qu'on sait faire. Et un jour, j'ai piqué un scooter. Magnifique bécane, d'ailleurs. Elle était rouge pétante avec des flammes blanches, donc assez visible pour qu'on la remarque. A croire que c'était fait exprès. Le propriétaire y avait laissé les clés alors qu'il retirait du pognon au distributeur. En moins de deux minutes, j'lui avais piqué son engin et j'étais parti vers mon bloc, là où je vivais en appart' avec mes parents. Arrivé au parking, mes potes sont venus vers moi en extase, ravis et éberlués de me voir sur ce tas de ferrailles aux couleurs vives. J'vous le dis : j'ai frimé à mort ! Et c'était peu dire.
J'ai pris l'un de mes voisins à l'arrière et on a sillonné le quartier de long en large comme des dératés, jouant sur l'accélérateur pour impressionner qui que ce soit qui passerait par là. Mais la virée s'était vite écourtée puisqu'à une intersection, j'ai grillé la priorité à une bagnole cabossée et j'me la suis prise de plein fouet sur le côté. Mon pote a valsé et moi, j'me suis retrouvé coincer sous le scooter : plus de sensations dans les jambes.
Résultat des courses : j'suis handicapé à vie, j'ai eu un traumatisme crânien, j'ai vu mon pote crever à quelques mètres de moi et j'ai blessé une gamine de deux ans qui se trouvait dans la voiture.
Vous l'dis, j'étais complètement con. Et maintenant, j'revis cet enfer dès que je ferme les yeux. J'en suis presque devenu insomniaque. A quatorze ans, on peut être débile. Comme à tous les âges, en fait. Mais c'était la goutte d'eau, j'crois. J'l'ai cherché. Plutôt que d'me la péter, j'aurai dû continuer mes études et devenir un type bien. Ou alors rentrer dans les rangs de l'armée pour me forger mon propre caractère plutôt que de copier celui des autres. Me regardez pas comme si j'étais un monstre. Mon seul regard dans le miroir tous les matins me suffit amplement.
Je suis là, sur le chemin en terre, à observer le ciel sombre. Une mouche vient m'emmerder en tournoyant autour de ma tête plusieurs fois et je tente de la virer à grand renfort de gestuels. Les roues de mon fauteuil se mettent à grincer et j'arrête ma piètre danse pour revenir au sujet de ma venue ici. Je ne sais toujours pas pourquoi je suis sorti. La météo avait annoncé une alerte rouge sur la région et moi, triple imbécile doublé d'un jeune con, je suis là en train de m'extasier sous les nuages gris à essayer de me pardonner encore une fois mon insouciance et ma fébrilité de l'époque. Derrière moi, la maison est calme. Mes parents ont déjà éteint la lumière de leur chambre alors qu'il n'est même pas vingt-et-une heures. Ils ont été présents pour me soutenir et ont toujours pris ma défense. Ils disaient à tous que c'était mon entourage qui m'avait donné cette idée saugrenue de voler un scooter et de jouer avec, que c'était parce que je traînais avec des « racailles » que j'me suis montré aussi con. Ouais. Bah non. J'étais tout à fait conscient de l'erreur que j'commettais. On en fait tous dans notre vie. J'essayais de faire en sorte qu'on me regarde, même si j'détestais ça. J'suis vraiment quelqu'un de contradictoire. Et ça n'empêche pas mes parents de vouloir retirer la charge qui pèse sur mes épaules. Mais cette charge, elle est là et elle ne partira plus jamais. Je grandirai avec et je mourrais avec. J'ai vu mon pote crever en me regardant d'un air accusateur et ça m'a suffit.
Je pose mes mains froides sur mes cuisses maigres et jette un coup d'œil sur le chemin caillouteux. Vous ne savez pas à quel point j'aimerai à nouveau marcher. Vous, vous voulez une superbe bagnole, partir à Miami ou vous taper toutes les nanas en bikini qui passeraient devant vous à la plage ? Moi, j'ai juste envie de marcher. Marcher et sentir à nouveau toutes les sensations que j'ai maintenant oublié ; le vent sur ma peau, le froid du carrelage, la douleur des gravillons, toutes ces choses qui sont si insignifiantes pour vous.
J'ai quatorze ans, j'suis con mais j'ai ouvert les yeux sur beaucoup de choses. Ce serait trop long à énumérer mais mon accident m'a permis d'ouvrir une nouvelle porte sur mon existence. A l'époque, je ne voyais aucune échappatoire au Quartier. Depuis, on m'a offert une nouvelle chance. Même si je suis handicapé à vie, je suis désormais entourée de prés et de forêts, nous vivons dans une grande maison équipée spécialement pour moi, nous avons un chien qui passe son temps à dormir ou à aboyer et j'ai même une petite sœur. J'ai l'air d'être triste ou perdue ? Ce n'est pas parce que je suis fatalement stoïque aux choses que je ne ressens que du négatif. Derrière moi les erreurs et les mauvais jours, derrière moi les conneries des jeunes de mon âge.
Derrière moi drogues, vols et Quartier.
Ici, l'air est frais, loin de sentir le vice. Tout est naturel, tout est merveilleux. J'explore de nouveaux horizons, j'arrive à respirer sans me tordre les côtes sous l'odeur des pots d'échappement ou des cigarettes Ducal complètement dégueulasses. Ici, je vis au jour le jour, observant les animaux furtifs et les arbres frissonner sous le vent. Le soleil est différent, tout comme la Lune et le ciel en général. On voit les choses sous un autre angle.
Mais mon envie de marcher s'agrandit. Plus je vois ces herbes folles se balancer au gré du vent, plus j'ai envie de marcher à même le sol et de sentir la fraîcheur que cela m'inspire. Et même si j'sais que c'est impossible, j'ai quand même envie d'essayer. Ouais, il est tôt et la tempête annoncée approche. Je prends pourtant le risque. Et je m'empare de ma cuisse avec force, serrant les doigts dessus pour soulever ma jambe. Je fais pareil avec l'autre, joignant les pieds sur le sol alors que je ne sens rien. Je me hisse par la force de mes bras sur le fauteuil pour me lever, un coup de bassin pour vivement me redresser et... je chute vers l'avant pour me retrouver le visage dans la terre.
Génial.
J'pensais à quoi, au fait ? A un miracle ? N'importe quoi. Mais mes mains touchent l'herbe fraîche et je me redresse avec difficulté pour voir ça de plus près. Mes jambes sont tendues et je ne sens rien du tout, pas même cette foutue mouche qui se pose sur mon tibia tout fin. Je lève mes yeux vers le ciel sombre, vers la Pleine Lune qui disparaît à nouveau derrière les nuages, et je serre la mâchoire. Expirant avec exaspération, j'me laisse tomber sur le dos avec fatalité et ferme les paupières. Au loin, j'entends un coup de tonnerre et le bruit m'envahit les oreilles pendant un instant. J'en avais oublié que le sifflement incessant du vent s'était calmé depuis que j'étais tombé.
J'ai l'air con, le visage plein de terre. J'm'en fous. J'ai décidé de rester là pour la nuit. De toute façon, j'pourrais pas me relever sans aide puisque mon fauteuil n'a même pas un cran de sécurité pour qu'il reste en place le temps que je m'y réinstalle. Alors je soupire maintes et maintes fois, gardant les yeux fermés et écoutant simplement l'orage qui se rapproche alors que le froid passe à travers mon vieux pull en laine. Vous croyez que j'ai envie de mourir ? Bah tiens, ce serait marrant. Avoir attendu tout ce temps pour mettre fin à mon existence ? Ce serait stupide, nan ? Vous me prenez pour un con ou un suicidaire ? Arrêtez donc. Déjà, y a que moi qui aie le droit de me traiter de con. Et suicidaire, j'en suis pas un. J'suis juste quelqu'un de bloquer envers les gens, maintenant. Je n'ai pas envie de me faire d'amis, je n'ai aucun geste affectueux envers ma petite sœur et je ne cause même plus avec mes parents. J'ai l'impression d'être une statue mobile et j'crois même que c'est le cas. J'suis très bien tout seul.
Et alors que j'entends vaguement ma mère m'appeler sur le perron sans voir mon fauteuil roulant dans la nuit, j'me met à chialer comme un gosse, couvert de terre et d'herbe, les bras sur le visage et la mâchoire serrée.
Je ne marcherai plus jamais.

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